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Sophie au Brésil

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BRÉSIL
Salvador de Bahia - Rio-de-Janeiro
Ma rencontre avec un front froid... et un petit pingouin
par Sophie Chacoux, août 2006

Juillet 2006

Aujourd´hui le ciel est tout gris, tout bas, et le vent souffle par fortes rafales. Oh… ce n´est pas une tempête, juste un de ces coups de vent qui balaient souvent la côte par ici. Un front froid comme on appelle ça dans le coin… Mais à son annonce, il fait bon être dans une crique protégée… ou amarré à un ponton... et surtout rester vigilant !

A quelques brasses sous Rio de Janeiro, ce jour-là, Enomis et moi nous sommes bien abrités.

C´est qu´on connaît ça tous les deux le front froid ! On a eu très peur quand nous sommes arrivés tout là-haut à Salvador après la traversée de l´Atlantique. C´était il y a quelques mois déjà… On filait vers le port, 3 ris dans les voiles. On arrivait au Brésil... dans la fameuse “Bahia de todos os Santos”… un nom tellement magique! On en rêvait tellement de cette arrivée après une quinzaine de jours d´océan…

Qu´importe le ciel qui nous recouvrait de son manteau de nuages noirs, qu´importe la pluie qui nous accueillait doucement en rideau... A la radio j´avais bien entendu les brésiliens qui me disaient la veille: “front froid prévu sur Bahia” On avait eu du mauvais temps en pagaille: entre les Canaries et le Cabo Verde surtout… puis en passant l´équateur… avant… après… alors on allait bien passer! On y était… la terre on la touchait … enfin presque … On été fatigués, fourbus, éreintés mais heureux!

Je savais aussi qu´il pouvait mettre pas mal de temps, voire plusieurs jours, avant d´être là ce coup de vent. Mais que faire quand on arrive... quelle option de navigation choisir quand on est presque au port?

Mouais… ben à 6 heures du matin, devant le fameux phare d´Itapoa, dans cette zone de hauts fonds, où ça secouait… ça secouait… il est arrivé le “front”, et dans toute la fougue de sa naissance en plus... alors la question a été vite réglée! Comment oublier…En quelques minutes tout est devenu tellement noir, la pluie tellement forte, les vagues tellement hautes… qu´on s´est carrément échappé devant ce paysage bien trop tourmenté…

Et c´est ainsi qu´à 2 heures de l´arrivée dans la marina de Salvador de Bahia, on s´est mis en fuite… pour revenir… 2 jours après!

J´avoue avec le recul, quelques mois après, et 900 miles plus bas … qu´on a eu ce jour-là très très peur!

Voilà donc comment Enomis et moi avons vécu notre premier front froid et que la seule évocation de son nom nous rend depuis quelque peu… anxieux et encore plus prudents!

Bon c´est déjà loin… Mais aujourd´hui ça recommence! Heureusement dans une marina les éléments ne se vivent pas de la même façon et la “Bahia da Ilha Grande” où nous sommes est particulièrement bien protégée.

En ce matin de juillet, l´heure est déjà bien avancée et ça souffle... Les amarres d´Enomis crient de rage. C´est qu´il n´aime pas trop être ficelé Enomis! Mais dans quelques jours on va repartir puisque nous continuons notre descente vers le Sud. Enfin, si la météo le permet bien sûr! Il peut bien supporter le ponton en attendant…

Et puis la surprise! C´est une petite boule grise qui vient caresser la coque d´Enomis… une petite boule qui flotte encore mais qui ne bouge pas. Elle se laisse porter par les vagues qui battent son flanc… je ne sais pas dire à quoi ça ressemble exactement…mais je réalise vite que c'est un pingouin!

Je le récupère avec un seau... Un “Pingouin de Magellan” me dit un brésilien qui semble connaître cette race. Il est fatigue mais vivant.

D´où peut-il venir? De loin c´est certain... Je sais que dans le coin passent des courants froids. S est-t-il laissé surprendre... emporter...? Est-il tout seul? Que de questions je me pose!

D´instinct je le mets au chaud dans une serviette. On me dira après que j´ai fait le bon geste!

Ici j´ai la chance d´avoir lié amitié avec Amyr Klink, un des célèbres navigateurs de l´Antarctique. Il doit savoir... il doit connaître la race… il est resté tellement longtemps avec eux sur la Banquise! Je l´appelle.

J´ai une envie folle d´adopter mon Pingouin, le garder avec moi, le redescendre vers le sud avec Enomis... en famille quoi! Je le baptise Jules… mais ne me demandez pas pourquoi!

Hélas j´apprends que c´est une espèce protégée et pas question d´adopter Jules! Je peux juste essayer de le sauver... en le réchauffant, en lui pêchant quelques poissons et en le gavant... survie oblige!

Me voilà sous la pluie... car le mauvais temps n´arrête pas... en train de pêcher les espèces de sardines du petit port où je suis. Je les découpe en tronçons... et puis mon Jules coincé entre les genoux, je le gave, je le gave... et tant bien que mal il arrive à avaler!

Le soir même dans sa serviette Jules dort... je crois bien qu´il est sauvé!

Je pue le poisson… mais je ne quitte pas mon Jules. Il est mignon avec ses petites nageoires… ses petits yeux qui semblent me dire merci… sa petite bouille! Je pense qu´il est tout jeune.

Amyr Klink entre temps a organisé son rapatriement dans une zone plus adaptée à sa condition de pingouin. C´est ainsi que le lendemain, alors que Jules paraît tout requinqué… et qu´il est bien sûr un peu plus entré dans mon coeur... que je dois me séparer de lui.

Encadré par deux voitures de police (oui oui!), gyrophares et sirènes hurlantes (je ne blague pas!), Jules est parti pour un aquarium spécialisé de la région à Ubatuba. Ah qu´il fait bon d´être un pingouin au Brésil!

Depuis j´ai appris qu´on avait découvert toute une flopée de pingouins à proximité des plages de Rio. On les a regroupés, soignés, nourris, et à ce jour ils doivent voguer sur un bateau de la marine brésilienne en direction du Sud du pays pour être relâchés dans un courant qui les ramènera vers la Patagonie. Jules a lui aussi récupéré ses congénères et va bientôt barboter heureux dans ses eaux pleines de glaçons. Home sweet home...

Qui sait... je le retrouverai peut-être? Vous croyez qu´il me reconnaîtra?

Depuis le front froid est passé et les températures de l´hiver austral avoisinent 30 degrés dans la journée (ce qui est quand même 7 à 8 degrés au-dessus de la norme saisonnière) De quoi dissuader les pingouins de Magellan de venir faire un tour sous cette latitude! ...jusqu´au prochain Jules qui s´égarera....