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Conte de Noël 2005

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Conte de Noël pour un navigateur solitaire
par Gaëtan Girard, décembre 2005


L’histoire a débuté par une chanson. Un marin solitaire naviguant par mers et monts. Après un périple de plusieurs années autour de ce caillou que l’on appelle la terre, le temps était venu de prendre trois tours de rouleau et se reposer dans le calme sous le souffle chaud de sa Marie. Remontant l’Atlantique en ce début d’automne, les marins confirmés diront qu’il est fou de naviguer dans ces eaux en automne. Tempêtes, ouragans n’ont faits de l’épuiser. Les mains crevassées, les doigts écorchés, à plusieurs reprises, la mort est venue le saluer mais son coeur battant ne pouvait lâcher prise sans avoir revu sa dulcinée. Est-ce qu’en ce Noël 2005 son rêve pourrait se réaliser enfin. Arrivera-t-il à destination avant l’arrivée des premiers glaçons refermant le St-Laurent pour un autre long hiver, n’ayant pas vu l’étrave de son voilier fatigué d’avoir trop navigué depuis plusieurs années? Par vent de travers. Arrosé par les embruns glacées son coeur balance sous le chant de cette chanson qu’il a tant écouté pour se rapprocher de celle qui avait su gagner son coeur. Serait-elle encore là à l’attendre en silence sur le bout du quai? Espérant le retour de celui qu’elle a tant aimé. Tant espéré. Aurait-elle trouvé une âme moins solitaire pour réchauffer son coeur dans la froidure des hivers québécois?

Et le marin chantonnait:

La mer est immense, je ne peux la traverser.
Je n'ai pas d'ailes pour la survoler.
Préparez moi un bateau pour deux.
Nous ramerons mon amour et moi.
Navire je vois qui fend les flots.
Chargé ras bord et je ne sais.
Si cet amour que j'ai en moi.
Dans les abîmes m'entraînera.
Contre un jeune chêne je me suis appuyé.
Pensant qu'il pouvait résister.
Mais hélas il a plié.
Comme mon amour il s'est brisé.
Dans un buisson j'ai posé ma main.
Croyant tendre fleur y trouver.
Mes doigts aux épines j'ai blessé.
La tendre fleur fait tomber.
L'amour est joie, l'amour est beauté.
Ainsi les fleurs en leur matin.
Mais l'amour passe et disparaît.
Comme de la fleur, rosée d'été.

En ce début de novembre, les ouragans dans l’Atlantique nord devaient être chose du passé. Pas en cette année 2005 qui fût exceptionnellement dévastatrice dans les Antilles, le golfe du Mexique, le long des côtes de la Floride. Nulles régions furent épargnées. Même les bayous de la Louisiane furent dévastés. Les pêcheurs de l’Alabama perdirent leurs bateaux, échoués au milieu des champs de culture, à plusieurs embrasures de leur point d’amarrage. Certains experts dénonçaient le réchauffement de la planète dans le processus des changements climatiques, sources de cauchemars. Joseph encaissa basse pression sur basse pression. Jamais il n’avait connu de temps si maussade et menaçant depuis son départ, plusieurs années plus tôt. Lui qui a navigué sur toutes les hémisphères. Le temps était devenu fou. Imprévisible pour un marin chevronné, habitué de lire le temps en regardant le ciel, la mer, les éléments. La longue route parcourue, de la pointe de l’Amérique du sud vers le nord, l’handicapa sérieusement pendant ces dernières semaines de navigation. Contraint pendant des jours et des jours à s’alimenter de restants de cannage froid pour l’aider à supporter la froidure du temps dans sa cabine. À plusieurs reprises, L’Insoumis fût retourné par des vagues monstrueuses venues tout droit du continent européen. En mode “survie”, ses gestes étaient mus par l’automatisme, une seconde nature développée avec toutes ces années de navigation. Prendre 2 ris dans la grand voile. Faire le point pour repérer l’étoile polaire qui devait le conduire vers celle qui alimenta ses rêves dans les longues nuits australes. Petits gestes anodins en navigation côtière qui deviennent héroïques en situations extrêmes. Seul sur cet océan glacial. Un itinérant de la mer. Un vagabond des mers mendiant le beau temps avec sa gamelle récupérant l’eau de pluie pour s’abreuver. Épuisé, il leva les yeux au ciel et s’écria:

«Dieu du ciel et de la mer, puisqu’un jour retrouver ma belle. Je ferai tout pour effacer mes péchés. Pardonnez mon athéisme. Sauvez votre enfant de cette calamité. Mortel que je suis, je ne suis pas prêt pour l’éternité. Calmez ce vent de tempête qui s’acharne sur moi et mon bateau et je vous donnerai ma foi. Aidez-moi à rejoindre Marie et un mousse j’engendrerai.»

Ses appels de détresse lancés au vent du large n’eurent aucun effet. Même ses cris furent étouffés par l’agressivité du vent. Les vagues se fracassaient sur le pont de L’Insoumis l’obligeant à rester à sec de toiles. Dans un coup de tonnerre inimaginable pour un terrien, un fracas venu de loin dans cette nuit sans étoiles, noire comme l’abîme, son corps fût projeté comme un tonneau de bois perdu sur la mer. Il perdit conscience un moment. Combien de temps? Il n’en sait rien. Le temps s’était arrêté. Ce Dieu aurait-il pris sa promesse comme un blasphème lancé à tout vent? Des lumières scintillaient sous ses paupières collées comme des diamants sous la lampe d’un joaillier. Un silence lourd et anormal le sortit de sa noirceur. Il entendit une voix qui l’appela.

Joseph! Joseph!

Il reconnût cette voix lointaine, féminine, qui s’approchait lentement de son oreille.

-Joseph! Écoute-moi.

-Marie murmura-t-il.

-Lève-toi Joseph. La route est longue. Trop longue pour t’arrêter enfin.

Difficilement Joseph réussit à se relever. S’aidant de la main courante de la table à cartes, il enleva aveuglément quelques objets qui s’étaient retrouvés sur la banquette tribord se laissant retomber mollement. Il avait mal partout. Il n’avait pas des ecchymoses. Il était devenu une ecchymose. Tout son corps souffrait d’avoir virevolté dans tous les sens lors du chavirement de son bateau. La voix continua de lui parler.

-Joseph. Tu te rappelles la promesse que tu as faite au Dieu que tu as imploré.

-Je me rappelle en vain lui répondit-il. J’ai tellement la tête à l’envers. Ai-je rêvé?

-Tu as fait une promesse d’engendrer un Prince de la mer. Et bien Joseph, ton voeux a été exaucé. Je suis enceinte.

-Tu es enceinte lui répondit-il, incrédule à ce qu’il venait d’entendre.

-Mais tu es enceinte de qui Marie? Questionna-t-il.

-De celui que tu as imploré. Ne cherche pas à comprendre. Saisis-toi. Astique les cuivres, polis les boiseries. Prépare la cabine pour l’arrivée de notre enfant qui va naître au solstice d’hiver. Avant la nouvelle lune.

Éberlué, abasourdi, croyant rêvé, il dégagea ses paupières entre ses doigts pour s’assurer qu’il ne rêvait point. Il pris conscience du calme qu’il régnait à l’extérieur. Seule la cloche de brume tintait doucement. Ding!......Ding!....Ding! Comme les cloches d’une église au loin. La voix de Marie reprit:

-Relève-toi Joseph. Range ton bateau. Les feux du ciel sont avec toi. Les vents du sud gonfleront tes voiles pour te ramener à moi pour la naissance du Prince des mers. Joseph sentit une chaleur parcourir son corps. Des pieds jusqu’à la tête. Son cou, ses joues, son crâne devinrent bouillants. Il ne sentit plus aucun mal lui qui souffrait tant quelques instants auparavant.

Il ouvrit le capotin et sortit sa tête hirsute pour constater que la mer était devenue d’un calme plat. Une mare d’huile en langage nautique. Le ciel, illuminé de milliers d’étoiles sous une pleine lune jaunâtre, éclairait le pont de son bateau. Il sentit un léger souffle chaud lui caresser la joue droite révélant la levée de l’Alizé. Il s’empressa de lever la grand voile. Déployer le génois. Lentement, doucement, les voiles se mirent à gonfler. L’Insoumis, grand largue, avança sous cette surface d’ébène. Les vaguelettes laissées sous son passage scintillaient comme des diamants dans la nuit. Il leva les yeux au ciel en signe de remerciements et au même moment, une pluie d’étoiles filantes se dirigeaient toutes dans une même direction. Comme pour lui indiquer le cap à suivre. Il poussa la barre de quelques degrés sur bâbord, tournant l’étrave vers cette route tracée dans le ciel polaire. Métamorphosé, il descendit dans la cabine ranger les objets éparpillés çà et là dans le bateau. Un vrai capharnaüm. Il profita de ce calme relatif pour se préparer un léger goûter chaud qui lui redonnerait les forces perdus des derniers jours. Il savoura son copieux repas accroupi dans le cockpit. L’Alizé le poussa au travers de la mer des Sargasses. Seuls les algues flottantes l’obligèrent occasionnellement mais régulièrement à ralentir pour en dégager l’emprise. Il navigua ainsi plusieurs jours, plusieurs nuits sous ce vent miraculeux diminuant l’écart qui le séparait de sa Marie-pleine-de-promesses. Il ne pouvait s’empêcher de penser à la naissance de ce mousse qui l’attendait à son retour et la mission qui lui était confiée pour sa venue sur cette terre. Ce prince ne venait pas au monde pour accomplir une banalité. Baptisé Joshua, il aurait comme mission de parcourir la planète terre à bord de son voilier de fortune construit avec des matériaux de récupération, “L’Espoir”, afin de sensibiliser les peuples de sauver la terre, source de vie, d’une mort cruelle occasionnée par l’abondance, la richesse, le despotisme, l’exploitation, la facilité, l’arrogance entre les peuples. Toute une mission que Joseph réalisa en pensant à toutes les épreuves, les embûches que son fils, le désigné, rencontrerait sur son périple. Les puissants de ce monde ne verraient pas de bonne augure son arrivée parmi eux. Pendant que Joseph naviguait vers sa terre d’accueil, Marie eût vent de rumeurs voulant que des dignitaires, venus de l’Est, traversaient l’Atlantique pour participer à la naissance de ce Prince-nautique-sauveur-des-eaux. Chargés de victuailles et de matériels nautiques en guise de présents, ces trois capitaines portaient également un message:

“Un riche président de république convergente avait ordonné à une organisation internationale de saborder la naissance du missionnaire et de couler le voilier de Joseph.” Les copains d’abord de Joseph et Marie rassemblèrent leurs biens pour préparer la migration vers une terre promise où la paix règne. Un peuple, sans prédation, qui vive dans l’harmonie de la mère terre. Ils prirent la route menant à la côte qui du haut de son cap, Marie supplia les dieux de faire naître cette voile qu’elle attendait depuis si longtemps. Ce cap fût nommé Cap Déception en l’honneur de cet événement. Scrutant des jours et des jours le large, perchée sur ce cap, jamais nulles voiles n’apparurent à l’horizon. Seules quelques mouettes tournoyaient autour d’elle, criant haut et fort, sans comprendre le message. Une mouette, plus futée que les autres, s’approcha, claudicant, près de Marie.

-Que cherches-tu à me dire Mouette? demanda Marie.

-Je peux parcourir des mers sans m’essouffler. Me reposer sur la crête des vagues sans risquer. Bien qu’on me répudie, laisse-moi porter un message à ton amant qui est au large. Dire à celui que tu attends l’amour que tu as pour lui, répondit Mouette.

Marie écrivit un message d’espoir à son amour. L’enroula et l’attacha autour du cou de la mouette qui s’envola sans tarder. Volant dans les tourmentes du ciel. Cherchant une coquille flottante sur cette mer immense. Jour et nuit. Épuisée. Sans jamais arrêter de battre des ailes. Planant au-dessus de l’eau, elle aperçut enfin le petit bateau de Joseph. Mouette s’approcha doucement du bateau et aperçut Joseph qui sommeillait sur une banquette protégé du soleil sous le taud. Mouette, perchée sur une barre de flèche regardait Joseph dormir. Se sentant regarder, Joseph se réveilla en sursaut. Ouvrit les yeux. Ne vit rien. Mouette lâcha un léger cri qui éveilla la curiosité de Joseph.

-Mais qu’est-ce ce son venu de nulle part se demanda-t-il.

Il sortit la tête du cockpit, regarda vers le ciel. Stupéfier de voir une mouette ainsi perchée se mit à lui parler.

-Que fais-tu là ainsi percher Mouette. Tu n’as pas de terre d’accueil autre que mon bateau lui lança-t-il à la blague.

-Je suis venu porter un message de ta Belle répondit la Mouette du tac au tac.

Joseph se lamenta en la voyant.

- Ne pleure pas amant fidèle dit la mouette. Écoute-moi. J'ai des compliments de ta Belle qui sont pour toi.

Joseph, plein de surprise de l'entendre parler. Reçut bonne nouvelle, l'a salué.

-Elle t'a donné son coeur en gage et ses amours. Elle restera sage et fidèle pour ton retour. Ainsi Mouette termina le message. (Ainsi est né la chanson folklorique chantée par des centaines de marins oubliés dans les café des ports du monde entier.)

Joseph confia un message à la mouette pour Marie.

« Chère Amour. Je n’ai pu être présent près de toi encore cette année pour voir fleurir les roses sur la grève. Planter les graines dans le jardin pour notre réserve d’hiver. Voir partir les pêcheurs pour la pêche aux crabes. Ni apprécier avec toi les érables rougir à l’automne. Chauffer le bois en te racontant des histoires inventées. Mais sache que mon coeur navigue vers ton port et qu’à ce prochain hiver nous serons tous les deux en cale sèche pour un bon moment. »

Mouette, aimablement, prit sa volée sur le chemin du retour. Dans son léger plumage s’en est allé. Elle traversa les mers et les terres sans s'y lasser. Tout droit sur le Cap Déception s'est arrêtée.

Elle attendit des heures sans bouger. La tête sous son aile, se protégeant du vent d’est du haut de ce perchoir, elle pensa que Marie eût quitter ces lieux hostiles vers d’autres contrées plus clémentes. Un matin, des bruits de pas l’ont sorti de sa méditation. La Belle réapparût après plusieurs jours d’attente.

-Mouette dit Marie. Enfin tu es revenue! Comment a été ton voyage. As-tu vu mon Joseph dans ton périlleux périple?

-Douterais-tu d’une mouette toi aussi Marie? Demanda Mouette surprise de la question.

-Non! Pas du tout. Mais par vents et tempêtes nul n’est à l’abri. Ni même toi répondit Marie.

-J’ai vu Joseph. Il se porte relativement bien. Les vents calmes mais soutenus des dernières semaines sont de bonnes augures pour son arrivée prochaine. Je pense qu’il arrivera avant la tournure du vent du nord.

-Que puis-je faire pour te remercier demanda Marie à la mouette épuisée mais heureuse d’avoir accomplie sa mission?

-Tu sais, nous les mouettes, avons perdues toute notre dignité. Auparavant, nous étions pêcheurs. Nous passions la journée à survoler la mer pour nous nourrir. L’homme nous a fait perdre notre dignité. Nous aussi avons tombé dans le piège de la facilité. Désormais, nous avons oublié la façon de pêcher nous nourrissant de fast food et dans les ordures. Comme des itinérants, nos journées sont consacrées à fouiller les paniers jusqu’au fond. Quelle désolation!

Marie écoutait attentivement Mouette.

J’aimerais, Marie, que le moussaillon, dans sa mission, sensibilise aussi le monde que les animaux sont venus ici au même moment que l’homme et même avant pour certains. Qu’ils cohabitent cette terre avec l’homme. Que l’exploitation industrialisée des ressources naturelles, les pêches industrielles, la chasse sportive contribuent à l’élimination des espèces. Nos coutumes ancestrales voire génétiques sont modifiées au point que nous dépendons maintenant de l’homme.

Marie, découragée par tout le travail dont devra porter Joshua, s’assied près de Mouette et le prit dans ses bras.

-Mouette, si j’avais su avant. Moi aussi j’ai contribué à votre perte. Combien de fois j’ ai donné des restants de pain, des frites à tes semblables en leurs proférant des menaces parce qu’elles polluaient mon environnement. Si j’avais su, je les aurais laissé chercher leur nourriture dans les baies. Sur le bord du fleuve. À la mer.

-Si l’homme continue, lança Mouette, lui aussi subira une transformation. Les OGM le tueront à petit feu. Lentement, lui aussi se transformera. Son organisme ne suivra pas. Comme les ours polaires. La morue dans le golfe. Les bélugas. Les baleines. Il pense qu’en émigrant vers le sud ou d’autres pays, il s’acclimatera comme les animaux ont mutés avec les générations. Non Marie. L’homme coure à sa perte. Joshua a une grosse responsabilité sur les bras. Plusieurs voudront l’éliminer car il prônera seul dans le désert du capitalisme. Seul il ne pourra pas sauver le monde. Quel exemple devra-t-il donner afin que tous comprennent la gravité de la situation. Lorsque Joseph accostera, prenez l’enfant et sauvez-vous au nord. Plusieurs de mes semblables ont élus domicile dans ces régions. L’homme n’y va pas. C’est une terre hostile pour ceux qui baignent dans la luxure, la richesse, l’abondance et la facilité. Vous risquez moins qu’ici. Vous pourrez vous nourrir à même la mer. Elle fusionne de nourriture mais il n’en reste pas pour des générations futures. La pollution de l’homme finira par l’atteindre également.

Marie reprit le chemin du village. Prépara tout le bagage pour un départ précipité. Nourriture, vêtements chauds. Quelques denrées alimentaires pour la durée du voyage. Le lendemain, la température changea. Le vent tourna au sud apportant sa chaleur contrastante des jours précédents qui furent glacials et humides. Elle pensa qu’avec ce vent du sud, arriverait sans doute Joseph. À tous les matins
et à tous les soirs avant la brunante, elle gravit la pente abrupte menant au Cap Espoir pour repérer la voile qui annoncerait le retour de celui qu’elle aime et le départ vers la terre promise. Exceptionnellement, en cette année, le vent fût du sud pendant deux semaines retardant la formation de glace enclavant la baie.

De plus en plus, elle avait de la difficulté à gravir cette colline qu’elle dévalait en courant il n’y avait pas si longtemps. Un matin de décembre. Au quart de lune, elle aperçût au loin une minuscule tache blanche qui avançait lentement vers la côte. Remplie de joie et d’émotivité, elle sentit intuitivement que l’âme de ce bateau était celui qu’elle attendait depuis si longtemps. Toute la journée, elle a attendue sans bouger. Fixant le point blanc qui grossissait avec les heures. Lorsque le voilier fût à une distance appréciable, elle descendit la pente péniblement, retenant son ventre qui pesait lourd pour annoncer l’arrivée de son amant. Tous les copains d’abord se précipitèrent sur le quai pour accueillir et aider à l’accostage du navigateur solitaire. Fatiguer d’avoir navigué sans escales pendant les derniers mois, marcher sur le quai devint pénible au point qu’on dût le porter comme un héros qu’on venait de retrouver. On fît la fête au village. Dans la cabane de bois près de la baie, le poêle à bois chauffait. Dégageant toute la chaleur si souvent recherchée lors de tempêtes en mer. Marie sentait son ventre se déformer. Des douleurs vives lui firent lancer quelques cris. Les femmes des copains d’abord s’occupèrent à rassembler serviettes, vêtements chauds, huile, eau chaude pour la naissance de Joshua, le Prince de la mer. Futur sauveur de l’humanité. En ce 25 décembre 2005, naquit dans le village de la Divinité un moussaillon qu’on baptisa Joshua. Le ciel était pur comme le cristal. La lune brillait de tous ces feux. Le phare éclairait la baie dans cette nuit de fête et d’espoir. Un nouvel enfant était né. Issu de l’air salin, par les mers il devrait naviguer, annoncer au peuple la vérité. Porteurs de la bonne nouvelle, les copains d’abord s’empressèrent de faire courir la nouvelle de village en villages. Dans l’après-midi du 25 décembre, trois pavillons apparurent à l’Est de la côte. Trois capitaines firent leur présentation et demandèrent d’être accompagner vers celui dont on avait annoncé la venue quelques années auparavant. Ému, chacun regarda celui dont les anciens avaient prédits le retour. Ils déposèrent sur le sol des présents qui leurs seraient utiles dans leur fuite vers la terre protectrice. Les trois dignitaires annoncèrent à Joseph qu’il ne devrait pas s’attarder pour quitter ces lieux profitant des derniers vents du sud pour semer les belligérants. Au matin du 26, tous les copains d’abord, réunies sur le quai, firent leurs adieux à Marie, Joseph et le petit Joshua. Leurs souhaitant bon vent, ils promirent de rester fidèle à leur amitié et de les rejoindre dans un futur proche. L’Insoumis quitta le quai sous un ciel sans nuage. Le vent du sud les porta plus loin vers le nord pendant des jours et des nuits. Au croissant de la lune, pendant les nuits rendues plus fraîches par la proximité de leur but, ils pouvaient entendre le souffle des baleines qui les accompagnaient dans leur voyage. Était-ce pour les protéger? Nul ne peut le certifier. Au matin du 6 janvier, ils virent la terre au loin. Des cimes enneigées sur les montagnes, quelques maisons fumantes et des bateaux de pêche au mouillage, voilà leur nouveau décor. Curieusement, on les attendait. Le Chef du village vint les accueillir avec des nattes en fourrure de loup marin. Ils enveloppèrent Joshua afin qu’il ne prenne pas froid. Les hommes du village s’occupèrent à assurer le mouillage du voilier dégoulinant de rouille après tant de mois de cavale. Le lendemain, les manœuvres pour retirer L’Insoumis des eaux seraient entreprises avant la prise définitive des glaces pour la longue nuit d’hiver.

Pendant ce temps au village de la Divinité, des mercenaires fouillèrent chaque bateau, chaque maison, à la recherche de celui qui devait déclarer toutes les supercheries du monde capitaliste. Ils arrêtèrent les copains d’abord qui furent, tour à tour, interrogés sur la localisation de l’équipage et du bateau. Personne n’osa briser le silence. Ils furent emprisonner pour entrave à la justice. Dans le village de Inukshuk la vie continua comme avant. Joshua grandit avec ce peuple pacifique et aimable. Ils lui apprirent à pêcher. Chasser le phoque. Se repérer entre les glaciers. Reconnaître le danger de la navigation arctique. Vivre sainement et dans le respect de la mère nature, source de nourriture. Joseph et Marie, à tous les soirs, regardèrent le ciel fixant l’étoile polaire pour la remercier de les avoir réunie pour l’éternité. Joseph, pour une fois, raconta des histoires vraies à Marie. Sa vie, les endroits où il vécut pendant ces années d’absence:

(chanson de Alain Zouvy)
Belle-Ile-en-Mer. Marie-Galante. Saint-Vincent.
Loin Singapour. Seymour. Ceylan.
Vous c'est l'eau c'est l'eau. Qui vous sépare. Et vous laisse à part.
Moi des souvenirs d'enfance. En France.
Violence. Manque d'indulgence. Par les différences que j'ai.
Café léger. Au lait mélangé.
Séparé petit enfant. Tout comme vous.
Je connais ce sentiment. De solitude et d'isolement.
Comme laissé tout seul en mer. Corsaire.
Sur terre. Un peu solitaire.
L'amour je 1e voyais passer. Je 1e voyais passer.
Séparé petit enfant. Tout comme vous.
Je connais ce sentiment. De solitude et d'isolement.
Karudea. Calédonie. Ouessant.
Vierges des mers. Toutes seules. Tout 1e temps.
Vous c'est l'eau c'est l'eau. Qui vous sépare.
Et vous laisse à part.


Émue par tant de sensibilité, Marie ne regrettait pas les années d’attente de son bel amant. Blottie entre ses bras, ils contemplèrent cette terre d’accueil où le temps s’est arrêté. Arrêté pour eux. Arrêté pour son peuple qui l’habite. Vivre et laisser vivre. Aimer et se sentir aimer. Joseph expliqua aussi les motifs qu’ils l’eurent fait partir. Les raisons de sa fuite. Toujours partir. Jamais rester.

(Le chant de l’hélium de Marie-Jo Thério)
Je pense à où je veux aller.
Et à où j’ai déjà été.
Le lien commun de ces idées.
C’est que nulle part je ne veux rester.
Dunes de sable et murs de pierre.
Ne retiendront guère.
La goutte d’eau qui veut tomber.
Pour se jeter dans la mer.

Dans le calme de ces lieux. Reposer son corps épuisé par toutes les années. Prendre soin de sa Marie pour le temps qu’il lui reste. Voir grandir Joshua. Partager sa joie dans l’harmonie d’un peuple de la mer. Ainsi allait être sa vie désormais.