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Bonaventure

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Aventures à Bonaventure
par Antoine Dervin, mars 2003

Lorsque Julien Bourdages ouvrit la porte, il y eut un grand silence. Michel et moi nous demandâmes que faire? Michel interrogea:

- Vous nous remettez?

Julien laissa aller le silence encore un peu et trancha, tout en se retournant vers sa femme, apparue dans le cadre de la porte:

- C'est les p'tits gars de Montréal!

Alors ils nous invitèrent dans leur demeure, au bord de la 132, avec vue sur la mer.

La mer, Julien en parle comme si c'était sa fille et c'est justement grâce à sa fille que nous avons rencontré Julien. Elle nous avait dit :

- Allez faire de la voile avec mon père, il adore ça!

Ainsi nous avons pris la route de Montréal jusqu'a Bonaventure sans autre envie que de rencontrer Julien. Et nous étions maintenant assis devant le 'père' de la marina de Bonaventure, un septuagénaire actif qui a construit voiliers et chars à voile dès l'âge de 14 ans pour profiter des offrandes d'Éole toute l'année. Quand il n'est pas sur l'eau, il a toujours un oeil sur la mer, et de la fenêtre de sa maison, il la surveille pour la Garde Côtière Canadienne dont il est auxiliaire.

Ce jour de septembre, nous sommes sortis par une mer formée selon Julien, démontée selon nous (5 à 8 pieds de vague) avec son 24 pieds. Il fallait voir Julien couché sur le pont au vent, le sourire aux lèvres après avoir réglé le bateau et avoir confié la barre à Michel en ordonnant:

- Tiens le cap!

Ah oui, j'oubliais: Michel en était à sa première sortie et moi la première depuis 20 ans après quelques sorties en Optimist et 470. Quel baptême! Même la vendeuse de Sport-Expert, où nous avons acheté des cirés après s'être bien fait rincer, n'a pas voulu croire que nous étions sortis en mer la veille! Mais quand nous lui avons expliqué que c'était sur le bateau de Julien Bourdages, elle a ajouté:

- Il n'y a que lui pour sortir par un temps pareil!

Oui quel temps, mais quelle sortie: à 6-7 nœuds au plus près, l'étrave de l'Aventurier 2 fend la houle et remonte en craquant, voiles gonflées et pennons à l'horizontale. J'ai ajusté chaque bout sur les consignes de notre skipper et je jubile, Julien crie quelques yahou de bonheur et Michel savoure ces moments d'adrénaline. Puis c'est le moment tant attendu du virement de bord. Julien donne les dernières explications et lance:

- Paré à virer?

Devant nos mines affirmatives, il continue avec un:

- On vire!

Michel tire la barre franchement, je choque l'écoute de foc et la borde de l'autre côté, la bôme passe d'un bord à l'autre sans rien toucher. Nous nous replaçons dans le cockpit et affinons les réglages pour maximiser notre allure. La gîte est importante et je lis jusqu'à 30 degrés sur l'inclinomètre! Pourtant cela n'effraie en rien notre capitaine dont le sourire est indéfectible. Michel et moi nous regardons: nous nous trouvons bien petits au milieu de tant de puissance. Quelques vagues balaient le pont, Julien en commente les caractéristiques et rit de nous voir trempés. Je suis transi et Julien me conseille de me changer dans le carré: je m'exécute non sans mal, vu l'état de la mer, et retourne sur le pont. Nous sommes toujours au plus près et les vagues courtes font fortement tanguer le bateau.

Actif de nature, je ne peux rester en place et devant tous ces bouts qui ne demandent qu'a être manipulés, je propose à Julien de changer d'allure et de sortir le spi. Notre capitaine analyse la situation en silence et acquiesce pour mon plus grand bonheur: j'ai toujours rêvé de naviguer sous bulle et n'en avais jusqu'alors pas eu l'occasion! Branle-bas de combat, virement de bord pour se retrouver au largue. Réglage pour optimiser: avec Julien, pas de demi-mesure mais bien "recherche de la vitesse pure". Je plonge dans le carré et en ressors aussitôt avec le spi. Michel barre et Julien et moi nous affairons à gréer cette magnifique voile rouge, légère et qui canalise pourtant tant d'énergie. Sa couleur doit mettre Éole en fureur tel le taureau devant la manta. Drisse, écoute et point d'amure sont parés, on est prêt à envoyer! Julien retourne dans le cockpit et commence à hisser le spi. Le tissus me glisse entre les mains dans un mouvement agréable et continu, le vent prend dans la voile qui gonfle régulièrement pour s'établir: de toute beauté. Mais ce n'est pas fini, pour l'apprécier encore plus, il nous faut encore affaler le foc. Julien en choque la drisse et je plie tant bien que mal ce tissus épais et raide sur le pont. Voilà, il ne me reste maintenant qu'à mettre en place le tangon. Pas facile avec cette mer et mon peu d'expérience, ça fait bien rire Julien, et Michel renchérit.

Ouf, j'ai trouvé l'œil et peux aller m'asseoir avec les autres pour admirer notre oeuvre. Quelle belle allure, ma préférée. Nous peaufinons les réglages sous les ordres précis de Julien. Nous allons bon train, quelquefois 9 et 10 nœuds. Je suis enchanté et exulte en de multiples cris repris en canon par Michel. Julien est pensif et regarde travailler son bateau. Cette unité est, je crois, le prolongement de son corps et il en ressent les moindres vibrations, les moindres tensions, il en comprend les moindres gémissements. Il souffre avec lui jusqu'à lui avoir soigné les moindres bobos. Là, toute la magnificence de l'homme et de la machine envahit l'air, tout paraît plus calme, la symbiose est totale et le bateau, comme l'homme, sourit au vent. Quels moments somptueux qui n'auraient d'égal que la jouissance d'un amour parfait. Et nous sommes là à engloutir cette harmonie quasiment palpable, à engranger ces images subliminales. C'est tellement parfait que l'on se surprendrait à vagabonder dans une autre dimension.

Soudainement, comme pour nous faire revenir sur terre, Julien ordonne le retour à la marina et nous manœuvrons sous son oeil averti pour déjà nous amarrer à quai. Quelle expérience fantastique! Julien nous invite à en parler autour du souper.

C'est ainsi que nous avons passé notre semaine à Bonaventure: trois sorties en mer avec Julien et son Aventurier 2, dont une sortie de la marina à la voile et une course avec un 36 pieds qui, comme Julien est fier de le dire, a eu du mal de nous distancer.

Nous avons aussi rencontré Gaston Bourdages, le neveu de Julien, un personnage haut en couleur et fort sympathique qui nous a fait découvrir la rivière Bonaventure et ses eaux vertes et limpides (un des joyaux du Québec), nous a guidés et supportés durant tout notre périple. Gaston a participé à l'élaboration du Corridor Bleu qui constitue une autoroute maritime à travers les plus beaux endroits de la Gaspésie, des Îles de la Madeleine et du nord du Nouveau-Brunswick.

Michel et moi garderons des images sensationnelles et des souvenirs impérissables de notre rencontre avec la famille Bourdages de Bonaventure.