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Les bleus du bateau bleu
par Thérèse Drasse, mars 2003

La Minerve le 25 juin 2000. Depuis la nuit dernière, il pleut. Pas juste à petites gouttes; mais c'est tellement rassurant d'entendre la pluie tomber, nous, bien protégés, à l'abri. Pas besoin de sortir de sa couche pour aller fermer une écoutille. En vacances, pour une semaine au chalet, tout me ramène au bateau. D'abord cette pluie qui n'a rien de fine et ce bel imperméable jaune (Heu! pardon, en navigation, on dit un ciré ma chère!) que j'ai acheté à l'Expo-nautique de Toronto l'hiver dernier. Au travail, on m'a souhaité du beau temps. A cela je répondais: pas grave s'il ne fait pas beau. Des travaux sur le chalet à l'intérieur, de la lecture, de l'écriture. Et puis il y a tellement de moustiques cette année, je n'arrive pas teindre sans m'énerver les balcons et ce bel escalier qui descend au lac: 25 marches. Non, vraiment si je pouvais choisir, je garderais le beau temps pour nos deux semaines du mois d'août, lorsque nous serons sur le bateau.

Rassasiée de lecture (non je ne le serai jamais), plutôt fatiguée d'être assise à l'intérieur, besoin de bouger, j'enfile mon bel imper jaune (de quoi faire peur aux chevreuils) et je pars marcher sous la pluie. Tout me ramène au bateau. Ce questionnement: "Si j'étais sur le bateau, que pourrais-je bien trouver, quelle activité me comblerait comme le fait une bonne promenade, marcher dans un petit chemin de campagne, même marcher en ville le soir, avant d'aller me coucher?" Bien sûr, j'ai déjà reçu une réponse de la part d'un bon ami qui voulait se débarrasser de mes questions existentielles: "Tu iras marcher sur les eaux ".

Parlons des vraies affaires. Laissons-là les manœuvres et autres sujets dont on parle tellement. Comment arriver à bouger sur un bateau comme dans la vraie vie? Je ne dis pas que de faire des virements de bords, de prendre des ris, de mouiller l'ancre (quand nous les femmes nous en sommes capables) ce n'est pas bouger. En fait, oui, c'est ce que je veux dire. Ces mouvements ne font pas bouger sainement. Bon d'accord, je dirai harmonieusement ou de manière équilibrée. Vous aimez mieux? Oublions la roue, là où nous sommes la plupart du temps. Faire les virements font travailler les bras ou les arrachent quand le vent est trop fort. Mouiller ou lever l'ancre: idem pour les bras, quand ce n'est pas le dos qui prend tout. J'oubliais: accoster. Effectivement, on bouge plus en arrivant au quai. Mais justement on touche terre. Alors, comment arriver à dépenser le trop plein d'énergie sans aller sur terre? On dirait que plus je vieillis, plus je comprends les enfants hyperactifs. Non merci, je n'ai quand même pas besoin de Ritallin. (Ulysse semble avoir des doutes!?!?). Ce n'est pas non plus que Svenska soit si petit: 32 pieds devraient me suffire. On peut y tenir debout dans le carré; si je parlais en vraie navigatrice je vous dirais que la hauteur sous barrots est de 6 pieds 3 pouces. C'est bien, mais rien de comparable à la hauteur du chalet. Et puis, vous le savez, on ne marche pas dans ou sur un bateau. On se plie, on se tortille, on se vire de bord, on enjambe, on se penche, on marche à quatre pattes, on rampe, on roule, on s'agenouille, on se contorsionne, on s'étire et surtout on se cogne et on se frappe partout.

Tout me ramène au bateau. J'ai les bleus du bateau bleu. Cette bôme, basse sur notre petit dériveur, ici sur ce lac, en face du chalet, comme pour me pratiquer à me baisser et à me plier en deux. Combien de bosses sur la tête l'an dernier? Mes empannages ne sont pas toujours contrôlés. Vous pensez que ce sont mes manœuvres qui ne sont pas au point? Parfois. Mais non, c'est le vent qui tourne continuellement sur ce lac. Même de vrais voileux l'ont admis, alors. Svenska n'est pas encore à l'eau et j'ai déjà commencé à me peinturer le corps en bleu. Oublié de me pencher en passant sous la coque en la nettoyant. Remarquez que j'étais bleue aussi après le sablage de la coque. Mais au moins cela partait sous la douche et c'était sans douleur. Quelle est donc cette ecchymose sur le devant de ma jambe? C'est vrai, en descendant dans la cabine arrière, mon pied a glissé. Ce bleu sur mon bras? Tourné trop vite, oublié les dimensions du bateau ou les miennes! Cet autre bleu, le plus beau pour l'instant (c'est un concours) sur ma jambe, savez là, juste à la hauteur de la ferrure qui ferme les coffres du cockpit. Dire que ma saison de navigation n'est même pas commencée. Lundi en revenant du chalet nous mettons le bateau à l'eau. Ha! Ces bleus du bateau bleu. En plus j'ai hâte!

Depuis, les vacances sont passées, d'autres bleus aussi (pas encore le souvenir). Celui le plus impressionnant et le plus douloureux aussi infligé à Chipman Point. Mais dites-moi, vous, vous ne vous faites pas mal en navigant? Cela vous a pris combien d'années?

Je voudrais savoir autre chose aussi puisque nous sommes entre nous. Vous, les Pénélope, avez-vous de la difficulté à embarquer sur vos bateaux? Comment-vous y prenez-vous? Suis-je la seule sur ce foutu lac Champlain (et dire que je crois sincèrement que je suis en forme) à me séparer en deux pour arriver à grimper, à m'arracher les bras sur les haubans et aussi à dire des mots (dans mon fin fond de moi) pas jolis du tout, issus d'un vocabulaire de plus en plus riche. Je sais, vous allez me parler d'un petit banc sur le quai. Surtout pas, préservez mon orgueil. Pas tout de suite.

En fait, je sais comment il faudrait que j'embarque sur notre bateau. C'est un Maxi (ne me faites pas la blague, quoi c'est un Provigo?). Je vous parle sérieusement pour une fois. Donc un bateau européen. Il est ballonné . Je me demande si le choix d'un bateau se fait inconsciemment comme le maître choisit son chien? Paraît-il que les deux se ressemblent; par exemple les deux ont une gueule de bouledogue ou les deux ont le poil frisé ou encore, les deux des oreilles longues? Donc notre bateau est ballonné! Alors l'endroit pour monter, n'est pas par les côtés. Ce serait plutôt par le balcon avant. Malgré cela, j'ai toujours cette impression que mon côté droit est embarqué et que le gauche est encore sur le quai. Imaginez quand quelqu'un se met à faire bouger le quai! Voilà que je me sens démembrée. Le mois dernier, je me voyais décapitée sur l'échafaud. De mieux en mieux; si je continue je conclurai que la navigation, la voile sont des formes de torture.

A vrai dire, la bonne manière d'embarquer sur Svenska, qui est un bateau suédois de 32 pieds, est par l'arrière. Puisque en Europe, les bateaux sont amarrés au quai par la poupe, notre échelle est faite pour être descendue sur le quai dans une pente douce pour permettre à Pénélope de monter majestueusement sur la cabine arrière et faire une entrée digne. Si on ne s'accroche pas la tête dans le bimini.

Sauf que tout cela se passe de l'autre côte de l'océan; essayez d'imaginer dans nos marinas sur le lac Champlain. D'autant plus, que n'ayant pas encore développé mes habiletés pour accoster au quai par l'avant (i.e. chus pas capable encore), il ne faudrait pas que j'ambitionne sur Ulysse; je ne lui demanderai pas d'accoster Svenska en reculant. J'ai l'air de lui faire la vie dure comme ça mais il y a des limites au supplice d'un homme.

Un jour prochain, si je me décide, je vous raconterai et vous ferai part de mes commentaires toujours aussi pertinents (!) sur le mâtage de Svenska au début de notre saison. Si je ne me décide pas, je vous parlerai ce que j'ai essayé pour bouger sur le bateau pendant nos vacances. D'ici là aussi, nous aurons fait comme vous: préparer le bateau pour l'hiver. Le bateau est vidé de son contenu. Lequel est remisé dans des bacs bleus, bien fermés, loin du sablage d'hiver. Mais nous l'avons hivernisé progressivement. Surtout ne pas bousculer Svenska. Lui faire comprendre que nous ne l'oublierons pas. Que le dicton n'est pas vrai: loin des yeux, loin du cœur. Enfin ce dicton n'est pas vrai pour un bateau, non plus pour le coeur d'Ulysse où une partie est toujours réservé pour Svenska même pendant la saison froide.