La vie tumultueuse du voileux Champlainard
par Michel Fréchette, septembre 2006
Ãtant un marin dÂeau douce
naviguant sur le Lac Champlain, je découvre le Champlainard, ce marin
spécial de ce beau lac américainÂ
Nous sommes tous des Champlainards de
temps en tempsÂ
Mais certains le sont davantage et plus souvent.
Le Champlainard est un
voileux qui se distingue notamment par son usage du canal dÂappel le
fameux 9Â
quand souffrant de solitude, il se lance avec acharnement sur
les ondes pour appeler quelquÂun, nÂimporte qui en fait, mais quelquÂun:
- Alors quelquÂun cÂest quoi
ta position?
- Je passe devant les
traversiers à Cumberland.
- CÂest quoi ta destination?
- Ben on pensait à Valcour ou
Malletts, cÂest pas décidé.
- CÂest comme nous, on
pensait à Valcour ou Mallets , on est aussi devant les traversiersÂ
me
vois tu?
- Non.
- Ben regarde.
- Ah ouiÂ
je te vois.
- On pourrait se rejoindre
pour lÂapéro.
- CÂest une maudite bonne
idée, jÂen parle à ma douce.
- CÂest ça parle lui.
- Bon le BonÂeau de retour au
9.
- Think big de retour au 9.
Mais devant ce rendez-vous
flouÂ
le Champlainard cherche ailleurs:
- Kékun dÂautre, kékun
dÂautre, ici le Think Big pour kékun dÂautre.
- Ici kékun dÂautreÂ
on passe
au UN UN.
(ça sonne toujours comme un
cri préhistoriqueÂ
HUN HUNÂ
)
- Kékun dÂautre tÂes où?
- On part de la marina, on
pensait aller à Valcour ou Malletts.
- CÂest une bonne nouvelle,
nous autres aussi on va aller à Malletts ou à Valcour, jÂai parlé à Paul
du Bon eau, cÂest ce quÂil pense aussi.
- Malletts ou ValcourÂ
on se
trompe pas.
- CÂest ça.
- Y vente tu?
- On a 15 nÂuds du sud, un
peu de vagueÂ
Le Roi Soleil disait de prendre deux ris pis trois,quatre
tours dÂenrouleurÂ
Mais jÂattends un peu.
- Deux risÂ
cÂest du ris ça
mossieur.
- Oui mais comme il dit il
vaut mieux un marin trop prudent quÂun marin mal pris.
- Ouais yÂa ben raisonÂ
surtout quÂArnold annonce du gros vent pour demain.
- Je le sais mais on est
aujourdÂhui sti!
Le Champlainard a un coté
campeur Ste MadeleineÂ
il aime se coller dans une baie bien remplie de
Champlainards comme luiÂ
tout en se plaignant:
- Le maudit gnochon, y
sÂinstalle dessus mon ancre!
Mais voilà , la surveillance
du gnochon est aussi une activité maritime qui passe le tempsÂ
en
attendant les kékuns qui doivent venir prendre lÂapéro.
Le Champlainard se reconnaît
aussi au fait quÂaussitôt ancré, il gagne son dinghyÂ
pour laisser
sÂexprimer le huileux qui sommeille en luiÂ
et là , mesdames et messieurs,
il faut le voir filer à vive allure sans se soucier des remous quÂil
cause, cheveux au vent, manette à plein régime, à la recherche des kékuns
quÂil aurait oublié dÂappeler et qui seraient dans le coinÂ
Puis sÂil en
trouve un, il fonce tout heureux vers cet ami retrouvé, et là il raconte
lÂhistoire du maudit fou qui lui a fait des vaguesÂ
- Y comprennent pas cÂest
quoi un voilier!
Le Champlainard maudit les
riches qui ont des gros bateaux, plaint les pauvres qui en ont des petits
et demeure insatisfait de la taille du sien. CÂest génétiqueÂ
Puis, dans la douceur dÂun
soleil qui se couche, le Champlainard évoque ses sujets préférés: les
toilettes bouchées qui distillent leur parfum, le fameux "Brise dÂanus",
les douaniers bouchés qui distillent lÂennui ou les ennuis selon quÂils
sont canadiens ou américains, des Gosselin qui chargent trop cher, des
bateaux à vendre et surtout du jour où il prendra le large.
Puis le vin rouge aidant, les
Champlainards mâles racontent toutes les mésaventures quÂils ont connues,
les dangers quÂils ont affronté, les vents et les vagues, trop forts et
trop grosses, pour le commun des mortelsÂ
après ils sÂétonnent de la
frayeur des douces qui parlent de la terre ferme comme de la vraie vieÂ
La soirée devenant la nuit, Ã
tous les trois voiliers, un Champlainard sort sa guitare et la baie chante
avec lui "La complainte du phoque en Alaska qui faisait le tour de la
montagne avec le soleil"Â
Le talent flotte, oui monsieur, il sÂexprime
entraînant la chorale des marins dans un grand moment de fraternitéÂ
pendant que les grenouilles sont béates dans la lumière de la lune.
Heureux, repu, libre,
artiste, le Champlainard regarde ses amis et lance son cri du cÂur:
- Ãa si cÂest pas la grosse
vie salleÂ
jÂsais pas ce que cÂestÂ
Puis un kékun dÂajouter:
- Moé un jour je vas partir
pour toujours
En effet!
Mais je les aime bien les
ChamplainardsÂ
ils sont tellement humains, bons vivants, chaleureux,
généreuxÂ
et que dire de ce lacÂ
avec tous ces coins que les Champlainards
ne fréquentent pasÂ
des coins que je garde secret pour les jours de
paresse sociale ou pour les rages dÂintimité.