Chronique
de celle qui commence
par Thérèse Drasse, février 2003
Chonique intemporelle, néanmoins très temporelle dans la vie de l'auteure,
écrite en 1999
CHAPITRE
1
CHAPITRE
2
CHAPITRE
3
CHAPITRE
4
CHAPITRE
5
CHAPITRE
6
CHAPITRE
7
CHAPITRE
8
CHAPITRE
9
Chapitre
1.
Voilà trois
ans que je vous écoute parler. Non pas que je vous trouve pédants.
Non. Même assez sympathiques. Mais CONNAISSANTS et FÃRUS DE
NAVIGATION. Ãa oui. Ce que je suis contente pour vous.
Cependant, en
ce début dÂannée, jÂai cru
quÂil devait y avoir place à la non-connaissance; oui, place Ã
lÂIGNORANCE. Le mot est lâché.
CÂest donc
très narcissiquement (sic) que je me propose de vous faire part de mes
réflexions sur lÂapprentissage de la voile et de tout ce que ce
sport-loisir entraîne avec lui.
JÂen ai
long à raconter. JÂai un bon sens critique. Alors je ne me laisserai
pas ficeler dans lÂenrouleur du génois pour faire de moi une momie.
Je vous donnerai mon 150%.
Toutefois je
vous demanderais de faire un (des) effort(s) de compréhension face Ã
cette chronique. Comment? OUBLIEZ mais oubliez vraiment tout ce qui est
pour vous ÃVIDENT. DÂailleurs que veut dire Âévident quand on
parle de voile ?
Ne sautons
pas dÂétapes. La vraie question est plutôt: ÂFaire de la voile?
Mais pourquoi faire de la voile? Avant la voile jÂavais une belle
vie. Tout allait bien. JÂavais un ego assez fort. JÂavais confiance
en moi. Je me trouvais même brillante (malgré que je sois blonde).
Quand jÂai
rencontré mon chum, mon conjoint, mon amoureux, mon ami etcÂ
(on ne
sait plus comment les appeler quand on ne les a pas mariés), donc cÂétait
dans le but deÂ
devinez? De faire du ski de randonnée. Depuis nous
avons dû faire trois sorties de ski pour une distance parcourue au
total de 15 km... Pas de quoi brûler les calories absorbées dans le
vin bu à lÂancre en été. Ce que vous vous dites en ce moment, je
vous entends penser: ÂCa nÂempêche pas Âla blonde pour ne pas
dire lÂépaisse, ce nÂest pas la même saisonÂ.
Attention il faut se brasser les méninges 7 fois avant de
penser.
Que
faisons-nous lÂhiver par les beaux dimanches enneigés? Que
faisons-nous qui soit en lien avec la navigation bien sûr? Je vous le
donne en mille. Au mois de Novembre.
... retour au début
Chapitre
2.
Donc que
faisons-nous en hiver? Qui, en plus, commence dès la sortie des
bateaux.
La première
fois que jÂy suis allée, jÂétais entourée dÂhommes.
DÂailleurs, pas de la première jeunesse. Ãa mÂa mis à lÂaise.
Quelques femmes aussi mais alors cÂétait des couples. CÂest ce
soir-là que jÂai commencé
à développer mes stéréotypes de naviguateur(trice). Que tous
nÂaimeraient pas. Mais parlons de mon premier soir. Nous, les femmes,
les premières fois, on nÂoublie pas ça. Mon homme à moi nÂy était
pas. Bien sûr, il lÂavait déjà fait.
Question
de faire connaissance, on fait le tour. Et là cÂétait parti. ÂMoi
jÂai un Hunter 40 ÂMoi jÂai un Christ-Craft  ÂMoi un
Trawler 44Â ÂMoi un Bayfield 32Â ÂMoi un Thudercraft Magnum
29ÂÂ
Tous
étaient là pour apprendre
ou parfaire leurs connaissances. Mais ils avaient déjà leur bateau. Il
y avait bien un petit jeune avec sa motomarine mais je ne me suis laissé
impressionner,
vous pensez bien.
CÂétait,
vous lÂavez deviné,
ÂIntroduction à la navigation de plaisanceÂ. Ce fut aussi le début
de la fin de mon ski de randonnée le dimanche. Parce que ce nÂest pas
tout dÂassister aux cours. Surtout quand on travaille dans lÂest et
quÂon court
vers lÂouest une fois semaine. Il faut étudier. Et le soir, les études
sont un bon somnifère.
Toutefois
jÂai un compagnon qui veut beaucoup, vraiment beaucoup, et qui me
fournit des outils. Un soir il est
arrivé, les yeux pétillants, le sourire enjôleur avec deux
petits bateaux en bois quÂil a minutieusement peints, une partie verte
et lÂautre rouge. Avec quoi pour pratiquer les bouées? Des punaises
vertes et rouges épinglées sur un carré de caoutchouc. Quoi de plus
excitant!!! Depuis, jÂai un fantasme que je nÂose
lui avouer. Je me vois assise dans la baignoire, sans ma
garde-robe, avec deux petits voiliers et un ventilateur. Je pourrais
ainsi apprendre à naviguer au près, au portant. Qui est sous le vent?
Qui est au vent? etcÂ
Cependant je ne sais encore comment je pourrais
faire le courant et corriger ma route. Tout de même, quel bonheur ce
serait!
Enfin,
revenons à la réalité. Donc jÂétudie le dimanche. Si vous croyez
quÂil nÂy a eu que ce cours. Détrompez-vous. JÂai beaucoup de
petits collants de lÂInstitut Maritime du Québec et des Escadrilles
Canadiennes de Plaisance. PLAISANCE. CÂest certainement la notion la
plus importante que jÂai retenu de tous ces cours. De la PLAISANCE. Ca
aussi cÂest une autre histoire: la philosophie de la voile ou comment
sÂagiter pour pas grand chose.
Au fait,
savez-vous ce que jÂai répondu quand est venu mon tour au premier
cours dÂIntroduction? ÂÂ--Moi? Ma mère a un pédalo!!. Ãa
les a déridés.
De la théorie
à la pratique. Vais-je oser vous faire part de mes pensées tordues sur
un voilier lors de mon premier vrai voyage? Dans le temps de Noël tout
est pardonnable, non? Préparez vos absolutions pour décembre.
(note
nostalgique: ce texte a été amorçé à Deep Bay le 15 septembre
dernier. Nous étions quatre bateaux à lÂancre.)
... retour au début
Chapitre
3.
MON PREMIER
VRAI VOYAGE EN VOILIER
ou
à LA RECHERCHE DE LA DOUCHE CACHÃE.
Gaspé
(Qc),
Anse-Ã -Beaufils (Qc), Havre-Aubert (IDLM), Cap-aux-Meules (IDLM.),
Dingwall (Cap Breton), Port-aux-Basques (TN), Saint-Pierre et Miquelon (Fr),
Grand-Bruit (TN), La Poile (TN), Port-aux-Basques (TN), Millerand (IDLM.),
Gaspé (Qc). 18 jours, 940 M, 6 équipiers ( 5 vrais et moi), 1
capitaine.
CÂétait
lÂété 1998. LÂannée dÂavant, mon Ulysse à moi partait en
croisière pour deux semaines. "Ah, non merçi. Pas prête encore
à vivre dans une commune flottante. Au revoir, mon Ulysse."
Ulysse de
retour, jÂapprends quÂils ont fait des escales, rencontré, visité
des gens intéressants, mangé au resto et surtout pris leur douche. Et
jÂai manqué çà ? Je ne peux plus me permettre de manquer quoi que ce
soit qui risque de mÂintéresser. Alors quand est arrivé lÂété
98, les prétendants de Pénélope ayant été chassés par son fils,
celle-ci décida de suivre Ulysse en mer.
Je ne pourrai
vous raconter mon premier voyage, le plus beau jusquÂÃ maintenant, en
une seule chronique. Heureusement pour vous que le voyage nÂa duré
que 18 jours. 'Celle qui
commence' voudrait aborder
ce récit sous différents thèmes. Le premier étant: 'à la recherche
de la douche cachée'. Mettons les choses bien en place. DÂabord je
vous rappelle votre promesse de compréhension. Qui ne dit mot, consent.
Pas eu aucun commentaire de votre part. Alors, cÂest entendu.
Partons si on
veut revenir. Je ne suis pas obsessive, mais jÂai quelques obsessions
(pas beaucoup quand même). LÂune dÂentre elles (je vous épargnerai
les autres) cÂest la douche du soir. Non, non je ne me sens pas sale
et patati et patata. Non, jÂaime çà . Point. Cela fait partie de mon
processus dÂendormissement. Les insomniaques me comprendront (peut-être)?
Il faut que
je vous dise aussi que je ne savais pas, moi, quÂil y a une différence
entre un quai public et une marina. Ne riez pas. Ce ne fut pas drôle du
tout. Partis de Gaspé, quelques heures de navigation, probablement pour
voir si je voulais rester, cÂest lÂAnse-Ã -Beaufils. Pas de marina,
à lÂépaule avec un bateau de pêche qui nÂa pas eu de traitement
anti-rouille et pas juste cette année. Pas de douche, cÂest sûr. Pas
trop grave, cÂest le premier soir. Mais nous avons une traversée de
plus de vingt heures devant nous le lendemain. J'écris dans mon journal
personnel (pas un journal de bord): 'Dans quelle galère me suis-je
embarquée?' CÂétait bien la première fois que jÂutilisais cette
expression en me croyant si près de la réalité.
Allons plus
vite que 6 noeuds, sautons des escales et nous voilà arrivés Ã
Port-aux-Basques la première fois. Zut, encore un quai public! Devant,
le garage municipal. Plus jamais je ne ferai de blagues sur les
Terre-Neuviens (pas ceux de Port-aux-Basques en tout cas). Ils nous ont
ouvert leur garage municipal avec accès aux toilettes, laveuse, sécheuse
et des douches. La joie!
Grand-Bruit.
à voir absolument mais ce sera une autre chronique. Arrivés avant le
traversier du matin. Besoin dÂune douche. Plus jamais je ne ferai de
blagues sur les Terre-Neuviens (pas ceux de Grand-Bruit en tout cas).
Ils nous ont loué pour presque rien, une maison tout compris, la douche
aussi bien sûr. Le bonheur! En retournant au bateau, tout heureuse et
propre, je suis tombée dans lÂeau salée. Pas encore une douche?
Aurais-je oublié de vous dire que lors de ce premier voyage, dans mon
inexpérience, lÂimportant pour moi nÂétait pas le vent?
JÂai omis
Dingwall avant Port-aux Basques. Dingwall, Ã oublier pour tout. Je vous
en parlerai quand je voudrai pleurer un bon coup et vous entraîner avec
moi. De retour à Port-aux-Basques, samedi 17 heures, le garage
municipal fermé et il nÂouvre pas. Je regrette presque ma promesse de
ne plus faire de blagues sur eux. Pourquoi ne pas partir puisquÂon ne
peut pas prendre de douche?
Tiens donc,
le vent commence à mÂintéresser? Non on ne peut pas, vent contraire,
crachin, froid. Deux jours. Assez pour découvrir la sorte de bateau
fait pour moi. Mais assez aussi pour visiter les installations qui reçoivent
les voyageurs du traversier. Assez pour dénicher quoi? Un peu gênée
de vous dire que prendre une douche avec du savon pour les mains et sÂéponger
avec du papier brun, cÂétait presque trop de plaisir en même temps.
Vous avez vu lÂannonce de la fille qui va se laver les cheveux pendant
que le gars fait le plein et qui crie quelques onomatopées de plaisir?
Je termine et
je vous laisse aller prendre une bonne douche après ma plus belle
histoire. Millerand (IDLM.). Arrivés au petit matin encore. Il parait
que cÂest comme ça que lÂon fait des traversées. Enfin. Nous
accostons. Bien sûr à un quai public. Fatiguée, vannée, ras-le-bol.
Beaucoup de pêcheurs sÂoffrent à nous conduire au camping. Pour
entendre rendus là : 'Non les douches cÂest pour les campeurs.' Retour
à la case bateau. Ulysse, Pénélope et un vaillant guerrier repartent
tous les trois à pied vers un petit resto. Les autres se couchent.
Pouvez-vous
nous trouver un taxi pour Havre-Aubert? Cet ancien chauffeur de taxi,
ancien pêcheur nous a amené chez lui, où nous avons pris vous savez
quoi? Il nous a ensuite conduit à Havre-Aubert pour manger, nous a fait
visiter les Iles comme un Madelinot et nous a ramenés au bateau, repus,
propres et fatigués. Ha! La plaisance! Béni soit cet homme qui
sÂennuyait.
Si nous
passons à travers la fin de cette folie qui nous guette, je vous ferai
la suite: "Rencontre du 3ième type avec E.T." Ã
moins que je ne change de titreÂ
DÂici là passez un beau Noël. Je
penserai à vous (cÂest sûrÂ
) dans la nuit du 1ier
janvier 2000. Où? Ulysse et moi recevrons nos sujets (oups comme dirait
Robert, nos invités plutôt) dans lÂeau à 30 degrés.
Je ne vous
fais pas marcher. Nous serons au Québec dans une piscine louée pour
lÂoccasionÂ
... retour au début
Chapitre
4.
MON PREMIER
VRAI VOYAGE EN VOILIER:
RENCONTRE DU 3ième TYPE AVEC E.T.
Il
me faut admettre que depuis ce voyage jÂai compris beaucoup de choses
de la vie sur un bateau. Je nÂai pas dit les manoeuvres ni une
certaine philosophie de la voile qui mÂéchappe encore. Mais je mÂégare
de mon propos. Qui est bien sûr, ma rencontre avec E.T. Il est
important de saisir que depuis ce voyage mais surtout depuis que Svenska
est avec nous, Ulysse et moi, je peux comprendre le comportement de E.T.
durant ces 18 jours de croisière.
Je lÂavais
déjà croisé de manière fugace. Il me paraissait sympathique et pas
du tout menaçant pour moi. CÂétait sans compter que je nÂétais
pas encore dans son antre. Bon il va falloir encore que je vous ramène
en arrière. Vous souvenez-vous la première fois que vous avez eu Ã
utiliser une toilette de bateau? Si vous me répondez que vous saviez en
partant quÂil fallait donner tant de coups pour la vider et après
tant de coups pour la rincer, je ne termine pas cette chronique. Bon
faites un effort. Imaginez. Moi je nÂai jamais fait de camping (tant
mieux). Alors les toilettes chimiques, les toilettes marines, vous dire
tout lÂintérêt que je leur portais. Mais enfin. JÂétais dans le
royaume dÂE.T. A Rome on fait comme les Romains. Sur un bateau, on
fait comme le capitaine. Docile, tout le long du voyage (sauf une fois
après Dingwall, pardon E.T.) jÂai compté religieusement les coups de
pompe.
Toujours pour
vous aider à me suivre, je vous fais cette confidence: jÂai eu trois
enfants que jÂai tenté dÂéleverÂ
Ce qui signifie que pendant
toutes ces années jÂai répété inlassablement de ramasser, de vider
le comptoir, de le laver et de lÂessuyer, fais ceci, ne fais pas cela.
Imaginez ma réaction quand le capitaine a voulu me montrer comment
essuyer un comptoir avec des essuie-tout parce que lÂeau endommage le
tour des robinets. JÂai failli grimper jusquÂÃ la girouette.
Reconnaissant son titre de capitaine il devint quand même pour moi:
E.T.
Pour ce qui
est de lÂutilisation de lÂeau potable, sujet litigieux sÂil en est
un sur un bateau, je savais pertinemment quÂil fallait en user avec
parcimonie. JÂespère que vous nÂavez pas eu de doutes sur mes
connaissances des us et coutumes marines. Ã bien y penser, je devrais
dire plutôt: moi, rationnellement alors que E.T. voulait
parcimonieusement. Tout un monde entre ces deux mots. Selon le
dictionnaire, "rationnellement: qui est fondé sur la raison"
(la mienne bien sûr). "Parcimonie: épargne rigoureuse, jusque
dans les plus petites choses" (E.T. bien sûr). Vous me voyez
venir? Total de secondes pour un brossage de dents: Thérèse: 20. E.T.:
8. Je ne gagnais jamais. Je vous le dis: jamais. Si je me forçais et
que je baissais mon compte à 18, il diminuait le sien à 6. JÂen étais
venu à me dire que E.T. devait avoir beaucoup moins de dents que moi.
Si
ma supposition, quÂil était partiellement édenté, était vraie,
alors pourquoi avais-je cette crainte quÂil me morde? Ce quÂil
aurait pu faire avec raison au moins une fois sÂil ne sÂétait pas
contrôlé. CÂétait au tiers du voyage, tout le bateau, lÂâme des
marins comme celle du bateau devait être encore imprégnée des
mauvaises ondes ressenties à DingWall. Nous naviguions. LÂheure était
venue. Du jus. Pourquoi ai-je fait ce choix pour Ulysse? Question
hautement existentielle qui me hantera toute ma vie. Pourquoi ai-je
choisi pour Ulysse un jus de raisin? Pourquoi? Mais surtout pourquoi,
moi Pénélope, femme noble et rangée (en fait qui range tout
dÂhabitude) ai-je décidé de laisser cette petite boite de jus sur la
marche menant du cockpit au carré? Je revois ce pied (à qui
appartenait-il donc) écrasant ce carton comme pour le préparer au
recyclage, expulsant dÂun jet ce jus de la couleur que tout parent ne
peut plus voir. JÂai pensé faire justement comme un enfant. Faire
comme si de rien nÂétait puisque personne ne sÂétait rendu compte
de rien. Mais une autre question me martelait les oreilles: pourquoi ce
hublot sÂouvrant dans le cockpit était-il justement ouvert, y
laissant entrer quelques gouttes de ce liquide empoisonné? Malheureuse
comme Pénélope attendant Ulysse, je serais descendue nÂimporte où,
même sur un quai public. JÂétais certaine que E.T. cette fois
laisserait sortir sa colère et quÂil me mordrait. Je le croyais
tellement que jÂétais sur le point de lui tendre mon bras pour
quÂil y plante ses crocs. Non, étonnant, mais ce nÂest pas ce
quÂil a fait. JÂai enfin vu la vraie nature sortir de E.T. Des
rouleaux d E
ssuie- T
out
sont apparus dans le cockpit pour ne faire quÂune grosse boule mauve.
JÂai été convertie sur le champ et accepté ses règles. CÂen était
fini de ma révolte. On ne navigue pas sans essuie-tout.
Janvier
est si long, février si court. Fera-t-il trop froid ou trop chaud? La
neige sera-t-elle belle pour le ski de fond? Pas de cours en vue pour
janvier, ni à lÂIMQ ni aux ECP? Aurons-nous fini de vernir tout ce
bois de Svenska? Si jÂai le choix entre une belle journée de ski ou
écrire mon voyage selon le thème ÂLa Navigation de PlaisanceÂ, le
choix entre Grand-Bruit et le silence de la neige; quel dilemme!
Alors
à février peut-être? Si ma chronique nÂy est pas cÂest que
contrairement à Ulysse se refusant à lÂappel des sirènes, jÂaurai
moi, à mon corps défendant répondu à lÂappel de la neige.
... retour au début
Chapitre
5.
MON
PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER:
LA NAVIGATION DE PLAISANCE.
JÂai
lÂair de mÂexprimer facilement comme ça quand vous me lisez,
cependant jÂai mis beaucoup de temps avant dÂarriver à verbaliser
une de mes premières interrogations. JÂarrivais dans ce milieu de la
navigation, en particulier celui de la voile avec tout son vocabulaire
fort beau, sans nul doute mais combien différent et incompréhensible
souvent pour une non initiée. Vous nÂaurez aucune difficulté Ã
croire que lorsque jÂaccostais avec le pédalo de ma mère,
je nÂarrivais ni par le babord ni par le tribord. Non, on
arrivait tranquillement et on ne parlait pas de notre vitesse en noeuds.
En fait cÂétait tellement lent que par belles journées, on sautait
à lÂeau et le pédalo avançait par la poussée de notre nage. Ãa
cÂétait de la plaisance, capitaine!
LÂIMQ nomme son cours "Introduction à la navigation de
plaisance". Les ECP eux, intitulent le leur tout simplement: "Le cours de plaisance". Vous admettrez
avec moi que le mot Plaisance
revient souvent. Plaisance, plaisanciers. Pourquoi tant insister sur
cette notion? Et Navigation de Plaisance en opposition à quoi?
Navigation déplaisante? Il y a anguille sous roche. Je me méfiais
(avec raison je le sais aujourdÂhui).
Surtout que lorsquÂenfin jÂosais poser ma question, je déroutais
les hommes (ce qui nÂa rien de nouveau, ma vie de femme est remplie
dÂhommes déroutés) mais je mÂégare encore. Donc ces hommes déroutés
me répondaient presque: "Tu parles dÂune question". Mais
comme ils nÂosaient pas me le dire aussi directement, de peur de décourager
ma curiosité naissante, ils se hasardaient dans lÂexplication:
"Bien cÂest pour la différencier de la navigation
marchande". "Ha oui? Et la navigation marchande est déplaisante?".
Bon encore un autre parti en déroute. DÂaccord jÂarrête de faire
comme si je ne comprenais pas. Je le sais que la navigation marchande
nÂest pas déplaisante: pas de douche obligée, pas de femme à parler
(Ã moins que lÂon ne soit le Capitaine sur certain navire) juste le
travail, la paix, la vie dure quoi. CÂest comme les marins qui font de
la course. Entendu dans lÂémission "Mer et Monde" quÂils
coupent le manche de leur brosse à dent pour diminuer le volume et le
poids de leur bagage! Je nÂose pas imaginer le nombre de secondes
quÂils prennent pour laver leurs dents. DÂailleurs, le font-ils?
"Après tout, on est entre hommes."
Comme Ã
chaque fois, je vais vous expliquer mes valeurs afin que vous ne vous
fassiez pas dÂidées préconçues. Supposons que jÂaie décidé pour
toutes sortes de raisons (sur lesquelles je nÂélaborerai pas ici) de
faire du conditionnement physique le matin avant dÂaller travailler.
Supposons que lÂune dÂelles serait que je sois capable un jour pas
trop lointain (avant que je décline) de remonter lÂancre seule. Quand
je fais du step, de lÂaqua-jogging, ou de lÂaéro-boxing, jÂen
arrache, cÂest sûr, cÂest loin dÂêtre toujours facile. Ceci étant
admis, je ne mÂattends pas à faire de la voile
sans effort comme si jÂétais à moteur. Premièrement je
mÂennuierais à ne rien faire et ensuite jÂai malheureusement perdu
« le petit rien du tout » qui va si bien dans un bikini pour
faire la figure de proue sur un bateau à moteur. Non, maintenant on
mÂutilise plutôt pour faire gîter le bateau pour le sortir de la
vase quand lÂeau du Richelieu est trop basse. Flatteur!
JÂen viens
au fait. JÂentends Ulysse se plaindre de mes préambules trop longs!
Donc je mÂattends en faisant de la voile à travailler un peu, ce qui
peut être très compatible encore avec la notion de Navigation de
Plaisance. Vous me suivez toujours?
Mais. Bien sûr
quÂil y a un "mais" Comment voulez-vous que jÂécrive une
chronique si tout est parfait? Vous souvenez-vous, jÂai déjà glissé
en douceur que ma perception de la philosophie de la voile était:
"comment sÂagiter pour
pas grand chose". Bonne ou mauvaise, cette perception est basée
sur de petites observations commeÂ
Il
était 7 heures. Nous étions déjà ou enfin (cÂest selon) à 9,3 M
de Port-aux-Basques en route vers les Ãles de la Madeleine. Nous avions
quitté le quai à 5 heures! (de vraies vacances). Ulysse a écrit dans
le journal de bord: "arrêt moteur, GV, Génois tangonné en
ciseaux". Il ne parle pas de vent. Pas de quoi déplacer une
bretelle de bikini. JÂoubliais. On était en manches longues et je ne
porte plus de bikini.
Imaginez je
nÂavais pas encore compris lÂidée du 135 ou 150%. Plus encore. Bon
dÂaccord vous avez le droit de rire. Je ne comprenais pas non plus
(mais était-ce important?) pourquoi on faisait tant de boucan Ã
vouloir changer ces pristis de voiles de côté. Ãa allait très bien
comme ça. JÂétais loin du mot amure. Il me semblait que si le vent
changeait de bord, il aurait tout simplement changé de côté
le gonflement de la voile. Pis après? La conversation habituelle
a repris. Combien de fois me suis-je demandé pendant cette croisière:
"Pourrions-nous parler dÂautres choses que de vent?"
Je nÂexagère
pas. Pendant trente minutes
après avoir décidé de sortir le spi de sa chaussette (encore une
autre affaire) il a été discuté: on tangonne ou on ne tangonne pas?
Je nÂai jamais été aussi silencieuse. Je nÂavais aucune idée de
quoi il retournait, mais il se passerait quelque chose, je le sentais.
Mon coeur a eu quelques embardées, un peu plus et je me mettais Ã
faire de la tachycardie. Bon il faut que je fasse attention à mes
propos. Les gens de voile ont beau être en général des pacifiques, je
ne veux pas mourir lapidée. NÂoubliez pas que je ne participais pas
à cette manoeuvre "périlleuse". Alors assise sur le banc
jÂai pu voir ces matelots (il y avait une fille aussi, parfois nous
aurions avantage à ne pas vouloir faire comme les hommes) sÂéchiner
à 1) détacher le tangon
2) enligner le tangon pour rejoindre le spi. Quarante-cinq
minutes, trois au moins avec ce bélier dans les bras, les deux
autres à les encourager. Oups cÂest trop haut, oups trop bas. JÂétais
rivée sur ma banquette. Ils avaient lÂair normaux avant. Puis ils ont
enfin réussi. Du moins jÂai compris que cÂétait ce à quoi ils
voulaient en venir. Revenus dans le cockpit, je les reconnaissais.
QuoiquÂils semblaient transportés par une joie que je trouvais
suspecte. Ca nÂa pas duré non plus. Ha les bonheurs éphémères! Trente
autres minutes. Constatation faite (après moultes discussions bien sûr)
que ce tangon ne changeait pas grand chose, il fallait décider.
QuÂest-ce quÂon fait? On lÂenlève ou on le laisse?
Je me disais que dans une journée de travail chacun devait
prendre cinquante fois des décisions aussi importantes sinon plus que
celle-là . De là ma théorie naissante que la voile nous rend indécis,
rend notre esprit ondulatoire comme les vagues: avec des creux et des crêtes.
Bizarre; personne ne mÂa demandé ce que jÂen pensais. Je me doutais
depuis le début que tout ce quÂil faisait ne servirait à rien ou
presque sinon à occuper des matelots qui sÂennuient quand il nÂy a
pas de vent. DÂautant plus que ces mordus de voile nÂosent pas
sÂavouer à eux-mêmes que lorsquÂÃole ne les aide pas, ils pensent
à ce que ce serait sur un bateau moteur.
Je
vous avais laissé entendre que je vous parlerais dans cette chronique
de février de Grand-Bruit et de tout ce que jÂavais aimé, trouvé
beau, remarquable. JÂhésite. De crainte de vous ennuyer. On utilise
souvent lÂexpression "photos-souvenirs". Parce que ce sont
des souvenirs pour chacun qui lÂa vécu; une image se forme parfois
avec une luminosité, une musique, parfois avec une odeur, une ambiance.
Avouez que cÂest un peu ennuyant que de regarder les photos de voyage
des autres? Alors je me demande, comment trouverez-vous les miennes
surtout sans image, juste en mots.
... retour au début
Chapitre
6.
MON
PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER
LE VOYAGE
En
principe et en pratique l'apprentissage de la voile se fait
graduellement. Par exemple, on commence par une sortie sur l'eau une fin
de semaine, une semaine, puis deux, pour arriver à une croisière comme
nous l'avons fait de 18 jours. A ce rythme-là , il aurait fallu que
j'attende ma réincarnation pour aller dans le golfe du Saint-Laurent.
Et question non négligeable: Ulysse aurait-il attendu Pénélope comme
elle-même l'a fait? Pénélope dans sa grande sagesse préfère ne pas
connaître la réponse; d'autant que cela aurait été une grande perte
pour Ulysse. Bon je m'égare encore comme à chaque fois que je
m'approche de la mythologie.
Ce que j'essaie de vous dire depuis le début, c'est que
d'une part j'avais trop d'apprentissage à faire, un monde trop différent
(pas de douche quoi!) pour que j'apprécie tout ce que je voyais.
D'autre part, je ne suis pas attirée nécessairement par ce que tout le
monde aime. Mais non, je ne suis pas désabusée. Au contraire. Je ne
peux l'être, je n'ai rien vu ou presque. Cependant j'avais déjà été
voir les baleines à Tadoussac, en Zodiac. Cette course qui n'était pas
censée en être une m'avait beaucoup impressionnée. Avec le recul, je
crois que c'était plus la vitesse du Zodiac et l'émerveillement de mon
fils que les baleines elles-mêmes. Je me souviens m'être dit à chaque
fois que j'entendais:" "Une baleine!"" et qu'elle n'était
plus là ; mais à quoi ca sert de venir voir ces baleines? Je me demande
si les baleines ne sont qu'un prétexte pour nous faire voyager. Chères
bêtes, le sommes-nous assez avec elles pour les poursuivre ainsi! Décidément
le film Moby Dick m'a mis à l'envers.
Dix ans plus tard c'est sur un voilier que j'ai eu la
chance de voir une baleine face au rocher Percé. Ulysse me dit que
c'est rare, parce que les baleines se tiennent un peu plus au large
d'habitude. En fait, justement ça commençait mal, tout le monde l'a
vu, moi pas. Le temps que je la situe, plouc, splash, elle n'y était
plus. Par contre (fermez vos yeux et imaginez) c'était impressionnant:
un troupeau de dauphins suivant le bateau pendant plus d'une demi-heure.
Un vrai film de Walt Disney en 3D. Au moins une vingtaine de ces
gracieuses bêtes si enjouées entre Port-aux-Basques et les
Ãles-de-la-Madeleine.
Si l'eau du golfe n'avait pas été si froide, j'aurais bien aimé
plonger avec elles, retrouver ce côté ludique des dauphins. D'accord,
d'accord Ulysse (parfois je le retournerais avec le cyclope celui-là ,
pas avec Circé, pas folle quand même) ce ne sont pas des dauphins, ce
sont des globicéphales noirs! De la famille des cétacés comme les
baleines. Ils sautaient quand même comme des dauphins, bon. Ãpoustouflant.
Port-aux-Basques.
Paysage montagneux, rocheux, immense. Un gros astrolabe
(ancêtre du sextant) dans le haut du village. Bouffe moyenne. Gens
accueillants, curieux des nouveaux arrivants en bateau. Pourquoi ce nom?
Les Basques devaient y venir pour pêcher. A fouiller à la bibliothèque
dans nos (vos) moments libres. Quai public, vous vous souvenez? Motel en
face de ce quai, quand après une traversée houleuse on n'est plus
capable de voir le bateau; avant de vouloir le vendre ou pire de le
donner ou encore quand on arrive de Dingwall.
C'est à Port-aux-Basques que nous avons rencontré un
couple à la retraite, très sympathique d'ailleurs, de Terre-Neuve. Ãtant
à leur retraite, c'est à leur rythme qu'ils font le tour de leur île.
Important, le rythme. C'est ce que j'ai découvert. Le mien n'est pas de
940 M en dix-huit jours incluant quatre traversées de nuit. Ce couple
naviguait sur un modèle de bateau très intéressant pour quiconque
(comme moi par pur hasard) refuse la navigation uniquement propulsée
par un moteur et qui veut retrouver la vraie PLAISANCE( un certain
confort) dans la navigation. Un 50/50, un voilier-moteur ou comme
diraient ces chers Français, un Motor-Sailor. Bien que je sois ''Celle
qui commence'' je sais que des puristes de la voile lèvent le nez sur
ces bateaux. Moi pas du tout et Ulysse non plus d'ailleurs. C'est plutôt
notre compte de banque qui est récalcitrant. Je n'en ai pas vu
beaucoup. Pas à l'expo-nautique de Toronto, certainement pas non plus
à Montréal. Déjà difficile de réussir à voir plus de cinq
voiliers. Le dernier 50/50 que j'ai pu voir, le plus beau jusqu'Ã
maintenant et encore je ne l'ai vu que de l'extérieur c'est le M'Aline.
Ils sont partis, je crois vers le sud. Leur bateau était chez Gosselin.
Un Finch je crois. à quand le jour où je verrai sur un tel bateau
"Ma Pénélope". Je serai prête à passer l'éponge sur le côté
possessif du nom.
Saint-Pierre et Miquelon.
Nous sommes arrivés le 14 juillet. Difficile de se mêler
à la fête en débarquant le jour même. Cependant même loin de
l'Europe, la bouffe française garde sa réputation. Vous dire que je
retournerais à St-Pierre juste pour goûter à une entrée de
champignons au fromage bleu, est à peine exagéré.
Grand Bruit.
Fermez encore vos yeux: une chute (pas juste un petit
filet) venant d'un lac en amont, traverse le milieu du village et
rejoint la mer. Un petit pont nous permet de passer par dessus.
Entendez-vous l'eau tomber? Romantique n'est-ce pas? Mon regard fou qui
dit à Ulysse: "Toi, moi, la merÂ
" Ouvrez vos yeux et
regardez Ulysse qui trouve bien belle cette chute mais qui n'arrête pas
de tripper sur deux côtes de baleine à côté du quai. Mais pourquoi
donc serais-je jalouse de Circé? Je découvre qu'il faut attacher
Ulysse au mât quand il voit des côtes de baleines, non pas quand il
entend les sirènes. Pas de route, pas d'auto dans ce coquet village de
pêcheur, d'une propreté éclatante. Me v'la rendue à écrire comme
dans la publicité de savon! Leur eau potable vient du lac. Leurs déchets,
ils les brûlent eux-mêmes dans la terre, un espace réservé à cette
fin. Pas de taxes foncières, bien sûr.
Tiré
de mon journal personnel, le dernier jour de la croisière:" Le
tout a été très difficile. Ce matin j'étais triste. Pas pour la même
raison que les autres. Pas parce que la croisière se termine. Plutôt
le contraire: trois semaines de vacances et je suis si fatiguée. Mais
ce voyage aura apporté beaucoup d'informations sur comment je veux, sur
comment Ulysse aussi veut faire de la voile, sur comment nous allons
naviguer ensemble. Pour l'instant je ne veux plus entendre parler ni de
vent, ni de virements de bord.
L'important
c'est que mon fils se marie dans deux jours. (Demandant un conseil sur
un vernis à ongles le jour de mon retour, une belle cosméticienne fardée
en regardant mes mains me ramena aux vraies valeurs: ''Vous savez
madame, il y a des choses qui se s'arrangent pas!" Un phoque se
promène tranquillement dans la baie de Gaspé. Il a l'air si paisible
et si heureux dans l'eau. Il avait sûrement beaucoup voyagé pour être
aussi serein. Je pensais à ma Capucine que je reverrais. J'aime
beaucoup les voyages. J'aime beaucoup les retours.
... retour au début
Chapitre 7.
LA NAVIGATION DE NUIT
ou
LE SUPPLICE DU SOMMEIL
* ? Pleurs de bébé ? la nuit
.
* ! Pas déjà ! On vient de se
coucher..
* "Ulysse, le p'tit Télémaque
pleure." Ulysse dort du sommeil du guerrier.
* Je suis si fatiguée. Nous
n'aurons pas d'autres enfants. Les nuits sont trop difficiles.
* Trois fois Pénélope se fit
cette promesse. Trois beaux enfants. Mais combien de nuits à s'arracher
du sommeil.
* Dring.Dring. Sonnerie de téléphone
"Mme Drasse on a besoin de vous à l'hôpital. Quatre heures du
matin. Sur appel. Mauvaise habitude : plutôt que de dormir, je passe
les nuits de garde à attendre le téléphone. Ãpuisée je serai
presque soulagée quand l'hôpital fermera.
* Boum, boum, boum. Bruits de
musique. Ha non pas encore. C'est l'été et nos voisins de cours
adorent veiller et nous faire écouter leur musique. Foglia a déjà écrit
une chronique sur le sujet. Le titre : FERME TA FENÃTRE.
* 3.30 H. Paroles susurrées
à l'oreille. Pas ce que vous pensez. " Chérie, c'est l'heure de
notre quart". Ce n'est pas vrai. Bien entendu, pas de douche pour
aider à se réveiller. Mais qu'est-ce que je fais ici?
"C'est Zeus qui m'a
ordonné de venir ici, contre ma volonté. Qui, de son gré, parcourrait
un si grand espace d'eau salée, plus étendu qu'on ne saurait
dire?" (L'Odyssée/chant V) Ainsi parlait le messager de Zeus à la
nymphe Calypso .
Ma première navigation de
nuit fut aussi ma première traversée. Les deux vont de pair. Pour moi
c'est évident; on ne navigue pas de nuit sans y être obligé. Depuis
que je suis dans ce monde (merveilleux/épouvantable, à votre choixÂ
)
de la navigation, je n'en suis pas à une erreur près, vous le savez ,
vous qui me lisez avec tolérance et compréhension depuis le début.
Alors ma prémisse est fausse. Certains naviguent de nuit juste comme ça,
sans y être obligés. Je le comprends surtout depuis que Ulysse essaie
de me convaincre de faire le marathon du Clair de Lune.
C'était la première traversée
de l'Anse-à -Beaux-fils vers les Iles-de-la-Madeleine. Nous étions deux
équipes de trois. Nous ne pouvions pas faire trois équipes de deux
puisque je ne comptais pas, étant donné que j'étais considérée
comme un membre inutile, titre qui m'allait comme un gant malgré que
j'aie essayé de l'enlever à quelques reprises. Donc, des quarts aux
quatre heures (comme les boires ou presque; je vous le dis, il y a
beaucoup plus de similitudes que vous ne pensez, entre autres, les deux
nous privent de sommeil). Minuit: notre premier vrai quart de nuit,
"Ulysse", chef de quart, "vaillant coéquipier" et
"membre inutile". Vaillant coéquipier se penche régulièrement
par dessus les filières quelques instants pour ensuite reprendre sa
position couchée sur la banquette. Les premières fois, je me demandais
ce qu'il pouvait bien chercher ainsi. Tant qu'Ã Ulysse, vert, il est
assis, l'air de se concentrer sur son intérieur (ce n'était pas de
l'introspection). Pas le choix,"membre inutile", les deux
mains soudées à la roue et les deux yeux rivés au compas. "
C'est quoi ta route?" Le capitaine qui semble dormir dans le carré,
pose cette question à intervalles réguliers. Mais, à part la crainte
que tout le monde vire au vert et m'abandonne seule dans cette nuit
noire, je me porte très bien. J'aime l'air de la nuit, j'aime le
silence de la nuit, j'aime la noirceur de la nuit quand je sais qu'il
n'y pas de danger. N'empêche que je me questionne: malades comme ça et
ils aiment naviguer? Maso un peu, non?
J'ai eu la chance d'avoir mes
choix de quarts. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Vingt
heures à minuit et quatre heures à huit heures. La chance, c'était de
pouvoir dormir entre minuit et quatre, heures qui normalement font
parties de la nuit. Sauf que. Oui, il y a encore un mais. Pouvoir, veut
dire avoir la possibilité de... bien sûr. Je ne sais pas comment étaient
constitués les autres. C'est au dessus de mon entendement. Ce que je
sais par contre, c'est que "membre inutile" Ã minuit et demi
ne dormait pas, ni à une heure, vers 2 heures je commençais Ã
sommeiller. En début de croisière, à 3 heures et demi, j'étais réveillée
au cas où ...et pour commencer à mettre mes verres de contact. SVP
retenez votre question : pourquoi avais-je besoin de voir pour ce que
j'en faisais? Appréciez plutôt l'exploit de mettre des lentilles cornéennes
sur un voilier qui fait route dans le golfe, Ã trois heures et demi.
Une nuit j'ai flanché et j'ai mis mes lunettes. Une photo me le
rappelle. Avec une image pareille, j'approuve Ulysse qui préfère une côte
de baleine.
Quatre heures à huit heures.
Quel beau quart! Quand on a réussi à passer par dessus la fatigue,
bien sûr. Le plaisir, la joie de voir le jour se lever. Vivre cette
ambiance particulière, sentir l'odeur du matin, faire un concours de
temps de brossage de dents avec E.T., voir poindre le soleil. Remarquez
que quand "membre inutile " est bien mélangé, un lever et un
coucher de soleil se ressemblent beaucoup. C'est juste pas à la même
place à l'horizon. Aussi beau l'un que l'autre. Et le plus gros
avantage de ce quart, est que c'est le nôtre qui fait les approches.
Pour être honnête avec vous cette expression n'est pas de moi; elle
est d'Ulysse. Ce fut d'ailleurs une amère déception. Je croyais
qu'Ulysse aimait faire Mes approches. J'ai découvert qu'il adore plutôt
faire les approches d'un quai! Enfin. L'important c'est qu'on arrive
quelque part.
La navigation de nuit représente
pour moi un dilemme. Les aurores boréales, la mer qui scintille par le
mouvement des planctons , même les aurores tout simplement. La
satisfaction, le fierté d'être passé à travers son quart. Mais la
fatigue qui nous colle à la peau, les arrivées au petit matin, Pénélope
et Ulysse qui ne se supportent plus. Et la question: à quoi ça sert
d'arriver là si on a plus la force de voir cet endroit, de rencontrer
les gens? Comment faire des traversées de plus de 20 heures sans
naviguer de nuit?
La solution? Quelle
est-t-elle? Dans l'équipement? Un pilote automatique? Un radar?
Ferais-je confiance à ces instruments? Prendre le temps de récupérer
en accostant avant de partir à la découverte? Alors, c'est le rythme
qu'il faut adapter à nos capacités? Pas convaincue que ce soit la
seule solution et la bonne. L'expérience me l'apprendra peut-être.
Je voudrais vous citer un
petit paragraphe que Philippe Cantin a écrit dans la Presse du 31 décembre
1999 sur le thème du bonheur: "Un vieux dicton dit: 'Partir, c'est
mourir un peu' Pas d'accord. Partir, c'est vivre à plein. Partir, c'est
découvrir d'autres gens et d'autres cultures. Partir, lorsqu'on a des
yeux pour voir, des oreilles pour écouter et un coeur pour sentir,
c'est grisant. Car tout voyage réussi se double d'un autre, à l'intérieur
de soi celui-là . Rentrer à la maison les valises pleines d'idées
nouvelles et de certitudes brisées, c'est aussi le bonheur."
... retour au début
Chapitre 8.
LE
TRIANGLE AMOUREUX:
UN COUPLE ET UN BATEAU
Un jour, Ulysse dit à Pénélope:
"Partons en mer. Je sens qu'Ãole nous portera loin. Laissons-lÃ
nos trésors; nos sujets sauront nous garder leur fidélité. Les dieux
seront avec nous".
Pénélope
eut quelques réticences dont elle fit part à Ulysse: "Ne crois-tu
pas Ulysse que je pourrais enfin jouir de la paix de mon royaume tout en
t'ayant à mes côtés?" Pénélope connaissait bien son Ulysse.
Quoiqu'on peut se demander comment elle pouvait être aussi sûre d'elle
alors qu'il avait été absent si longtemps. L'histoire ne le dit pas et
les revues féminines n'existaient pas encore. Pas de 'Femmes Plus', ni
de 'Elle Grecque', rien pour aider Pénélope. Mais elle savait. C'est
pour cela qu'en son for intérieur, qu'elle ne partageait pas avec
Ulysse, elle se demandait si elle lui faisait construire un autre Cheval
de Troie, peut être serait-il heureux de rester en place avec elle. Ils
pourraient tous les deux jouer à la guerre. Elle lui dirait:
"Tiens c'est à ton tour de te cacher à l'intérieur du
cheval". Plus que cela. Elle était même prête à lui laisser
toujours son tour d'attaquer et elle de se laisser envahir. Cependant Pénélope,
même si elle n'était pas une déesse, fut bien inspirée. Elle se tut
et partit contre vents et marées avec Ulysse.
Un jour, Ulysse dit à Pénélope:
"Partons en fin de semaine et allons à notre bateau au lac
Champlain. Météo Média annonce de bons vents. Laisse faire le ménage,
il sera toujours là quand nous reviendrons. Les chats t'aiment assez
pour se passer de toi quelques jours. Tes vÂux seront exaucés, nous
serons seuls tous les deux à l'ancre. Et puis tiens, tu décideras de
la route et nous irons à ton rythme". Pénélope eut quelques réticences
dont elle fit part à Ulysse. "Ne pourrions-nous pas, Ulysse,
rester en ville cette fin de semaine, une fois de temps à autres. Nous
pourrions aller nous balader dans le Vieux-Port, faire du vélo ou tout
simplement rester à la maison tous les deux, seuls, sans courir? Et
puis mon bien-aimé Ulysse, as-tu découvert une baie inexplorée sur ce
lac Champlain pour que tu croies que nous serons tous les deux
seuls?" Pénélope connaissait bien son Ulysse. Quoiqu'on peut se
demander comment elle pouvait être aussi sûre d'elle, parfois ils étaient
loin, l'un de l'autre, même ensemble. L'histoire le dira peut-être.
Toutefois, rien n'est moins sûr. Malgré tout, Pénélope savait Ã
quel point Ulysse tenait à partir en bateau en fin de semaine. C'est
pour cela qu'en son for intérieur, qu'elle ne partageait pas toujours
avec Ulysse, elle commença à préparer son horaire: mercredi, pendant
son heure de dîner, la liste d'épicerie; mercredi soir en sortant du
travail, l'épicerie. Jeudi soir: faire mariner la viande parce que cela
se garde mieux, bien sûr, dans une glacière; laver les fruits et les légumes
pour éviter d'utiliser l'eau sur le bateau; faire le mélange d'ingrédients
secs pour les crêpes du dimanche matin et quoi encore. Heureusement que
les draps ("santé" qu'elle voulait pour son confort!) sont
lavés depuis lundi matin (une p'tite brassée avant d'aller travailler)
et séchés depuis lundi soir. Ainsi elle serait prête à partir
vendredi soir. A quand la semaine de quatre jours!
Contrairement à Pénélope de
l'Odyssée, nous, les Pénélope de la génération des loisirs(!) ne
voulons pas rester sur terre pour attendre notre Ulysse. Et c'est lÃ
toute une différence. Alors la question que je me pose c'est jusqu'où
nos Ulysse sont prêts à aller dans leurs concessions (ex: sortir à 10
noeuds pas à 20) pour que nous les suivions, complices heureuses et que
nous portions un amour aussi fort qu'eux le portent au bateau et à la
navigation. Si je généralise (ce que je vais faire dans cette
chronique sinon nous n'en sortirons pas pour la mise à l'eau) je peux
me demander pourquoi les hommes aiment tant la navigation et pourquoi
les femmes se font parfois (tant) tirer l'oreille. J'ai quelques théories
là -dessus et la plupart vous les connaissez, puisque pour beaucoup
d'entre vous, étiez dans ce milieu bien avant moi. Vous avez presque
participé à l'Odyssée et vous avez bu du vin avec Homère, alors?
Pourquoi n'en parlons-nous pas? Loin de moi l'idée de vouloir vous
faire la leçon, vous pensez bien. Toutefois je ne peux ignorer que je
suis une Pénélope et que tout Ulysse qui désire sa Pénélope sur son
bateau aurait avantage à s'interroger sur la manière de la garder: idéalement
sur le bateau mais aussi et surtout dans sa vie terrestre, la plus
longue, il ne faudrait pas l'oublier.
Il y a le triangle équilatéral, le
triangle amoureux heureux, probablement quand ce sont les deux dans le
couple qui ont décidé de prendre pour amant un bateau. Les deux se
sont aussi initiés ensemble aux plaisirs amoureux, pardon aux plaisirs
de la navigation. Alors les deux ont appris en même temps et le niveau
de connaissances et d'expérience est équivalent. Bon, une affaire de réglée.
Comme quoi les gens heureux n'ont pas d'histoire. Ma chronique est
finie; 'Guten Tag', je m'en vais au chalet.
Le triangle isocèle. Le triangle
commence à se déformer quand les deux amoureux ne sont pas également
en amour avec le bateau. D'abord ce sont les hommes en général qui ont
les sous pour s'acheter un bateau. Il ne faut pas se le cacher, le
salaire moyen des hommes est encore supérieur à celui des femmes. (Je
ne vous casserai pas les oreilles avec ma grève qui vient de finir sans
grande victoire salariale). Sans compter que nous les femmes adoptons
souvent les loisirs des hommes. Heureusement qu'ils veulent garder pour
eux seuls la chasse et la pêche. Fiou! Donc l'homme a le bateau; il éprouve
déjà un amour envers celui-ci et si Ulysse et Pénélope ne sont pas
à égalité c'est que souvent une nouvelle Pénélope arrive dans les
filières. (Bizarre l'image qui me vient; c'est celle du lutteur
projeter dans câbles d'un ring! Qu'elle est donc le numéro de téléphone
de ma psychologue?) Récapitulons: Ulysse aime son bateau; il
rencontre Pénélope et se met à l'aimer. Pénélope rencontre et
commence à aimer Ulysse qui lui aime déjà son bateau. C'est
simple, non? Je n'embarquerai pas dans mon questionnement concernant
l'ancienne Pénélope qui est sortie des filières. Qu'a-t-elle cessé
d'aimer? Ulysse? Le bateau? Ou Ulysse qui aime son bateau? Ou
pire: Ulysse, qui aime son bateau, a cessé d'aimer Pénélope
qui aime toujours Ulysse mais n'aime plus Ulysse, qui aime son bateau,
parce que Ulysse aime plus son bateau que Pénélope. (Ne me
demandez pas de ré-écrire ce texte). Entendu dans Mer et Monde que la
navigation est souvent une grande cause de divorce. Parfois cependant
les voyages en bateau peuvent souder les plus belles amours.
Il
ne faudrait pas que je passe sous silence le triangle amoureux où c'est
la femme qui forme la pointe du triangle. C'est Pénélope qui a entraîné
son Ulysse dans cet univers aqueux. (n'y voyez aucun vilain jeu de
mots). Mon échantillonnage est trop restreint pour que j'en tire des
conclusions. Cependant je me pose la question: la femme initiatrice
laisse-t-elle volontairement une place de choix, de prestige à son
homme pour faire en sorte qu'il se sente le capitaine à bord, pour développer
son âme d'Ulysse? Le Cheval de Troie prend la forme d'une roue ou d'une
barre. Souvent les femmes autonomes sur un bateau ne sentent pas le
besoin, comme certains hommes de porter le titre de capitaine. Peut-être
ne tirent-elles pas gloire d'un titre, surtout quand elles savent
qu'elles peuvent tout faire autant que le capitaine. Malheureusement je
n'en suis pas là . Pour l'instant, en ce qui me concerne, un de mes critères
d'autonomie à atteindre est lorsque la femme à bord est en mesure de
sortir, de rentrer le bateau et de faire ses quarts, seule.
Nous sommes bien loin du début de
l'apprentissage (le mien entre autres). Qu'en est-il des moyens, des
trucs, des conseils que certains d'entre vous m'avez glissés? Vous dire
que vous avez été nombreux à m'envoyer des courriels, serait mentir.
Idem pour le nombre de couples qui se proposent pour la conférence ou
le débat à l'amiable de juin. Je me questionne: ou ce sujet ne vous
intéresse pas et alors je viens d'écrire cette chronique pour rien ou
alors vous êtes tous dans cette salle des Triangles Amoureux Heureux.
IL N'Y A JAMAIS DE DISCUSSIONS CONCERNANT LA NAVIGATION SUR VOTRE
BATEAU???. Ai- je l'air aussi naïve?
Pour Pénélope: Certaines bases semblent être un pré-requis si
le but est bien d'arriver à ce que Pénélope s'entiche de navigation:
elle doit aimer le plein-air et ne pas avoir peur de l'eau. Fondamental
n'est-ce pas? Avoir une curiosité envers la passion d'Ulysse.
J'ajouterais, un respect de l'autre qu'on a choisit d'aimer. De là ,
s'il aime la navigation et que je l'aime, ça vaut la peine dÂaller
voir.
Pour Ulysse: Pour aimer un bateau, il doit nous être présenté.
à part la coque pour flotter et les voiles pour avancer, à quoi sert
tout ce qui s'y rattache. D'abord et avant tout, Ulysse doit avoir
confiance dans les capacités d'apprentissage de Pénélope; sinon
comment pourra-t-elle croire en elle-même? Respecter son rythme à elle
(les Pénélope ont tellement d'autres choses dans la tête que le
bateau, si vous saviez comment! C'est dans nos gènes). Exemple de
phrase à ne pas dire: "Cela fait cent fois que je te le dis".
Hein, vous n'avez jamais dit ça? Laissez moi rire!. Accepter que la
notion de confort n'est pas la même pour les deux et agir afin
d'augmenter son niveau de plusieurs crans. Et finalement la qualité la
plus importante d'un Ulysse contrairement aussi à l'Odyssée dans
laquelle Pénélope en était détentrice, c'est la PATIENCE. La
patience de naviguer sous un vent léger alors que vous vous emmerdez
afin qu'un jour vous puissiez naviguer par vent plus frais; mais alors
vous ne serez pas sans votre Pénélope. Je sais que le temps n'est plus
au romantisme, mais j'aurais tendance à comparer la patience nécessaire
à l'apprentissage de la voile à la quête amoureuse d'une femme. Ne me
dites pas que vous ne savez pas à quel point la patience finit par
donner des ristournes. Coquins va, vous le saviez! En attendant ce jour
bienheureux, respectez ses peurs. Pas juste les comprendre ou faire
semblant de les accepter. Le respect: après tout Pénélope respecte la
passion d'Ulysse et Ulysse respecte ses peurs. Quel beau couple. Trop d'émotions;
j'ai une petite larme.
Tiré du livre La mer est ronde de
Jean-Francois Deniau: "Disons aussi que les femmes qui aiment
vraiment la navigation à voile sont rares. Le propre d'un bateau Ã
voile est d'être instable et de manquer d'eau courante...".
L'auteur dit qu'on peut tolérer qu'un équipier masculin soit vantard,
paresseux et maladroit. Mais qu'on demande à une femme d'être discrète
tout en étant présente, aussi naturelle qu'efficace, on s'attend à ce
qu'elle soit parfaite.
"UNE FEMME A BORD QUI AIME LA
MER MODÃRÃMENT, OU SIMPLEMENT LA SUPPORTE DE BON CÂUR EST UNE BÃNÃDICTION"
Et si tout ça ne fonctionne pas, il
reste qu'Ulysse parte seul. J'imagine que si l'entente est acceptée par
les deux ça doit marcher. Malheureusement ou heureusement pour moi, mon
éditeur ne me laisse plus de place pour élaborer là -dessus.
Entendu dans Moby Dick: "Un
homme démâté sent toujours l'espar qu'il a perdu" Faisait-il
allusion juste à sa jambe, croyez-vous?
... retour au début
Chapitre 9
LA
FIN
Aussi bien
vous le dire tout de suite: je vous ai monté un bateau. Ulysse par ci,
Ulysse par là . Je ne parle pas du mien mais de celui d'Homère: le
vaillant Ulysse, le patient Ulysse, le courageux Ulysse, le divin
Ulysse. Si vous croyez que je suis en pâmoison devant Ulysse, détrompez-vous.
Pas plus que devant Pénélope d'ailleurs. Désolée de vous avoir fait
croire une telle chose.
Quelle
est donc la vérité sur Ulysse? C'était un... En fait Ulysse était
une homme fort, rusé mais un peu faible devant les femmes. Voici une
partie de l'histoire: Calypso, une nymphe, une déesse le retenait
captif dans son île. Au début Ulysse, au grand cÂur, supportait bien
cet état jusqu'à ce qu'il commence à trouver Calypso pas suffisamment
humaine puisqu'elle était déesse, malgré ses formes très humaines.
De là l'expression avoir un corps de déesse. Mais elle était
immortelle et voulait offrir l'immortalité à Ulysse. Rien n'y fit,
Ulysse n'en voulut pas. Ha, cette routine qui s'installe dans un
coupleÂ
Même une déesse n'a pas réussi à garder la flamme ardente!
Laissons Homère
nous raconter lui-même: "Â
Elle trouva le héros assis sur le
rivage; ses yeux étaient toujours mouillés de larmes, et, pour lui la
douce vie s'écoulait à pleurer son retour perdu, car la nymphe ne le
charmait plus. Les nuits, il lui fallait bien reposer auprès d'elle
dans la grotte creuse; mais ses désirs ne répondaient plus aux
siensÂ
"
Voyez, ce
n'est pas d'aujourd'hui que les Ulysse se retrouvent en panne. Mais lÃ
n'est pas l'important. La suite, oui. Après que la nymphe Calypso eut
finalement accepté de le laisser partir alors qu'il n'arrêtait pas de
brailler qu'il voulait retrouver Pénélope; après avoir dit: "Je
sais fort bien que la sage Pénélope n'est à la voir, ton égale ni
pour la beauté, ni pour la taille". Bon, Pénélope n'est pas
seulement patiente à outrance mais en plus elle est épaisse dans tous
les sens. C'est ce qui arrive quand on passe son temps à faire de la
tapisserie, on finit par faire tapisserie. Et Homère de continuer:
" Il parlait ainsi; le soleil cependant se coucha et les ténèbres
survinrent. Ils allèrent donc tous deux au fond de la grotte creuse goûter
l'amour, en demeurant près de l'autre". On sait que ce n'était
pas la première fois que Ulysse s'envoyait en l'air mais là , il aurait
pu se retenir la veille de son retour.
Finalement
l'Odyssée est l'histoire d'un infidèle qui a continuellement trompé
sa Pénélope sous le prétexte qu'il ne pouvait pas s'en empêcher et
il est revenu vers elle alors que sa testostérone baissait. J'ai écrit
tout ça en riant. Ce ne sont que fantasmes écrits par un homme. Je
n'arrive pas à imaginer ce que serait cette histoire si c'était une
femme qui l'avait inventée. Ceci étant dit et maintenant que j'ai
replacé Ulysse dans une juste perspective, j'aimerais attirer votre
attention sur quelques lignes de cette Odyssée touchant particulièrement
la navigation. N'est-ce pas ce qui vous intéresse?
La
construction d'un bateau: Chant V
Â
Il planta
un mât, auquel s'ajustait une vergue. Il se fit en outre une rame de
gouverne, pour se diriger. Il munit tout le bâtiment d'un bastingage en
claies d'osier, rempart contre la vague, et répandit sur le plancher
beaucoup de feuillage. Calypso, l'auguste déesse, apporta des toiles,
pour en faire la voilure, et Ulysse les disposa savamment comme le
reste. Il attacha au radeau drisses, cordages et boulines, et put alors
le faire descendre sur des rouleaux dans la mer brillante".
Et vous, où
en êtes-vous dans la préparation de votre bateau pour sa mise Ã
l'eau? Svenska doit avoir des côtés "vieille fille",
c'est long!
La
navigation céleste: Chant V
Â
Ainsi, il
dirigeait avec art le gouvernail, et le sommeil ne tombait pas sur ses
paupières; il regardait les Pléiades, le Bouvier qui se couche tard,
et l'Ourse, qu'on appelle aussi le Chariot, qui tourne sur place en
guettant Orion et, seule des constellations, ne se baigne point dans
l'Océan. Calypso, l'auguste déesse, lui avait bien recommandé de le
garder à main gauche en naviguant sur la mer."
Nos cours de
navigation astronomique après ça vont manquer un peu de poésie.
La
météo: Chant V
"Â
Les
grandes lames le ballottaient en tous sens au gré du courant. Comme Ã
l'automne Borée balaie, à travers la plaine des charbons emmêlés en
paquet serré, ainsi. Par la mer, les vents l'entraînaient ça et là ;
tantôt le Notus le jetait à emporter à Borée, tantôt c'était l'Euros
qui cédait la poursuite au Zéphyr."
Le
mouillage: Chant V
"Â
Il
n'y avait pas de port pour recevoir les nefs, point de rade où
s'abriter;
Â
à la
recherche d'un rivage en pente et d'anses de mer."
La
navigation à voile: Chant XII
"Â
Cependant,
la nef solide atteignit vite l'île des Sirènes; car un vent favorable
qui nous épargnait toute peine, hâtait sa marche. Alors le vent tomba
aussitôt; le calme régna sans un souffle; une divinité endormit les
flots. Mes gens s'étant levés roulèrent les voiles du vaisseau et les
jetèrent au fond de la cale; puis s'asseyant devant les rames, ils
faisaient blanchir l'eau avec leur sapin poliÂ
"
Imaginez la tête
de Yvan Monnard: jeter les voiles dans le fond de la cale! Et
nous on se plaint parce qu'il faut partir le moteur.
Suggestions de lecture
Quand
La Voile fasseye de Noël Audet
Pas
tellement pour une histoire de voile contrairement au titre. Plutôt
pour le langage de mer, de navigation qui y est utilisé. De belles
expressions, de beaux mots qui vous berceront comme une vague amicale.
Du même auteur que L'Ombre de l'Ãpervier.
"J'ai
perdu le fil à trop jouer avec les nÂuds"
"Â
comme
si j'inventais des histoires. Peuvent toujours courir, on s'en fiche
pourvu qu'il y ait du vent!"
Des phrases
remplies de philosophie de vie: "On passe beaucoup plus de temps Ã
se retenir qu'à se laisser aller, à désirer le vent qu'à se laisser
emporter par la briseÂ
"
Un livre
rempli d'histoires racontées avec un humour fin, souvent aussi un
humour sans ambages. Quelques histoires tristes racontées sans
tristesse: la noyade page 87. Un livre tout petit, pas lourd du tout Ã
tenir quand on n'a pas arrêté de faire des virements de bord dans la
journée.
Voiliers
et gréements de Joseph Gribbins
Un beau livre
d'images. Du papier glacé. Le plaisir de la lecture qui passe aussi par
la sensation douce du toucher de la feuille et la clarté de la
photographie. C'est l'histoire de la voile dans un grand livre qui
prendra toute la place sur la table à cartes les jours de pluie.
Disponible à la bibliothèque ou en librairie pour un coût de $40.00
ou moins.
Histoires
extraordinaires de la mer de Robert de la Croix aux Ãditions l'Ancre de
marine
Un livre pour
faire semblant d'avoir peur. Bien quoi? On regarde bien des films de
peur, on ne se fait pas attaquer pour autant. Vous ne coulerez pas parce
que vous aurez lu ces histoires. De courts chapitres juste avant de
dormir. Comme ça je ne serai plus seule à ne pas dormir sur le lac
Champlain cet été, hi, hi. hi : " La dernière nuit du
Schooner", " Les rescapés du Tigre survivront-ils?",
"Quand les morts suivent le navire". Intéressants, non?
La
mer est ronde de Jean-François Deniau chez Voiles Gallimard
Un livre qui
touche tous les aspects de la navigation. Partir. Naviguer. Escales. Un
livre facile à lire, pas rebutant du tout. Un livre qui dédramatise la
navigation et ceux qui en font, qui parfois se prennent trop au sérieux.
Un livre drôle, plein de bon sens. La preuve? C'est dans ce livre que
j'ai trouvé la citation: "Une femme à bord qui aime la mer modérément,
ou simplement la supporte de bon cÂur est une bénédiction". N'en
doutez plus!
L'Odyssée
de Homère
Finalement
comme tous les autres livres suggérés, vous trouverez ce livre en
bibliothèque. Je vous conseille le prêt d'été. On peut emprunter les
livres pour presque six semaines. C'est le temps que ça vous prendra
pour apprivoiser ce livre qui, malgré tout ce que j'ai pu vous en dire
pour dénigrer Ulysse, demeure un livre que tout amant de navigation
devrait lire. Ne vous arrêtez pas juste à l'histoire mais savourez
tout ce qui se rapporte à la navigation, à la mer, tout en gardant Ã
l'esprit que ce texte a été écrit à l'âge épique soit au VIIIième
et VIIième siècle av- Jésus-Christ.
Et si après
toute cette lecture le goût vous a pris, allez voir la pièce l'Odyssée
au TNM en août. Je maintiens qu'Ulysse était un scélérat, un homme
perfide envers Pénélope, n'empêche que la pièce m'a beaucoup émue
par son texte bien sûr mais la mise en scène est remarquable. Les décors
alors. Devinez ce qui entoure la scène? De l'eau. C'est ce que je nous
souhaite à tous: suffisamment d'eau au-dessous, pas trop au-dessus de
nos bateaux afin que l'été qui commence en soit un des plus beaux et
des plus sécuritaires.
Je fais
amende honorable devant vous tous d'avoir pris tant de place. La preuve
est faite, la concision n'est pas mon lot.
Dernière
heure, dernière heure. Une suggestion d'Ulysse: Le film "The
Perfect Storm" sera présenté au cinéma durant l'été. Pire que
moi avec mes livres de peur!
©
Thérèse Drasse 1999
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