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Chronique de celle qui commence
par Thérèse Drasse, février 2003
Chonique intemporelle, néanmoins très temporelle dans la vie de l'auteure, écrite en 1999

CHAPITRE 1                       CHAPITRE 2                       CHAPITRE 3
CHAPITRE 4                       CHAPITRE 5                       CHAPITRE 6
CHAPITRE 7                       CHAPITRE 8                       CHAPITRE 9

Chapitre 1.

Voilà trois ans que je vous écoute parler. Non pas que je vous trouve pédants. Non. Même assez sympathiques. Mais CONNAISSANTS et FÉRUS DE NAVIGATION. Ça oui. Ce que je suis contente pour vous.

Cependant, en ce début d’année, j’ai cru qu’il devait y avoir place à la non-connaissance; oui, place à l’IGNORANCE. Le mot est lâché.

C’est donc très narcissiquement (sic) que je me propose de vous faire part de mes réflexions sur l’apprentissage de la voile et de tout ce que ce sport-loisir entraîne avec lui.

J’en ai long à raconter. J’ai un bon sens critique. Alors je ne me laisserai pas ficeler dans l’enrouleur du génois pour faire de moi une momie. Je vous donnerai mon 150%.

Toutefois je vous demanderais de faire un (des) effort(s) de compréhension face à cette chronique. Comment? OUBLIEZ mais oubliez vraiment tout ce qui est pour vous ÉVIDENT. D’ailleurs que veut dire “évident” quand on parle de voile ?

Ne sautons pas d’étapes. La vraie question est plutôt: “Faire de la voile? Mais pourquoi faire de la voile?” Avant la voile j’avais une belle vie. Tout allait bien. J’avais un ego assez fort. J’avais confiance en moi. Je me trouvais même brillante (malgré que je sois blonde).

Quand j’ai rencontré mon chum, mon conjoint, mon amoureux, mon ami etc… (on ne sait plus comment les appeler quand on ne les a pas mariés), donc c’était dans le but de… devinez? De faire du ski de randonnée. Depuis nous avons dû faire trois sorties de ski pour une distance parcourue au total de 15 km... Pas de quoi brûler les calories absorbées dans le vin bu à l’ancre en été. Ce que vous vous dites en ce moment, je vous entends penser: ”Ca n’empêche pas “la blonde” pour ne pas dire l’épaisse, ce n’est pas la même saison“.  Attention il faut se brasser les méninges 7 fois avant de penser.

Que faisons-nous l’hiver par les beaux dimanches enneigés? Que faisons-nous qui soit en lien avec la navigation bien sûr? Je vous le donne en mille. Au mois de Novembre.

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Chapitre 2.

Donc que faisons-nous en hiver? Qui, en plus, commence dès la sortie des bateaux.

La première fois que j’y suis allée, j’étais entourée d’hommes. D’ailleurs, pas de la première jeunesse. Ça m’a mis à l’aise. Quelques femmes aussi mais alors c’était des couples. C’est ce soir-là  que j’ai commencé à développer mes stéréotypes de naviguateur(trice). Que tous n’aimeraient pas. Mais parlons de mon premier soir. Nous, les femmes, les premières fois, on n’oublie pas ça. Mon homme à moi n’y était pas. Bien sûr, il l’avait déjà fait.

Question de faire connaissance, on fait le tour. Et là c’était parti. ‘Moi j’ai un Hunter 40’ ‘Moi j’ai un Christ-Craft ’ ‘Moi un Trawler 44’ ‘Moi un Bayfield 32’ ‘Moi un Thudercraft Magnum 29’… Tous étaient là  pour apprendre ou parfaire leurs connaissances. Mais ils avaient déjà leur bateau. Il y avait bien un petit jeune avec sa motomarine mais je ne me suis laissé impressionner, vous pensez bien. C’était, vous l’avez deviné, ‘Introduction à la navigation de plaisance’. Ce fut aussi le début de la fin de mon ski de randonnée le dimanche. Parce que ce n’est pas tout d’assister aux cours. Surtout quand on travaille dans l’est et qu’on court vers l’ouest une fois semaine. Il faut étudier. Et le soir, les études sont un bon somnifère.

Toutefois j’ai un compagnon qui veut beaucoup, vraiment beaucoup, et qui me fournit des outils. Un soir il est  arrivé, les yeux pétillants, le sourire enjôleur avec deux petits bateaux en bois qu’il a minutieusement peints, une partie verte et l’autre rouge. Avec quoi pour pratiquer les bouées? Des punaises vertes et rouges épinglées sur un carré de caoutchouc. Quoi de plus excitant!!! Depuis, j’ai un fantasme que je n’ose  lui avouer. Je me vois assise dans la baignoire, sans ma garde-robe, avec deux petits voiliers et un ventilateur. Je pourrais ainsi apprendre à naviguer au près, au portant. Qui est sous le vent? Qui est au vent? etc… Cependant je ne sais encore comment je pourrais faire le courant et corriger ma route. Tout de même, quel bonheur ce serait!

Enfin, revenons à la réalité. Donc j’étudie le dimanche. Si vous croyez qu’il n’y a eu que ce cours. Détrompez-vous. J’ai beaucoup de petits collants de l’Institut Maritime du Québec et des Escadrilles Canadiennes de Plaisance. PLAISANCE. C’est certainement la notion la plus importante que j’ai retenu de tous ces cours. De la PLAISANCE. Ca aussi c’est une autre histoire: la philosophie de la voile ou comment s’agiter pour pas grand chose.

Au fait, savez-vous ce que j’ai répondu quand est venu mon tour au premier cours d’Introduction? ‘’--Moi? Ma mère a un pédalo!!.’’ Ça les a déridés.

De la théorie à la pratique. Vais-je oser vous faire part de mes pensées tordues sur un voilier lors de mon premier vrai voyage? Dans le temps de Noël tout est pardonnable, non? Préparez vos absolutions pour décembre.

(note nostalgique: ce texte a été amorçé à Deep Bay le 15 septembre dernier. Nous étions quatre bateaux à l’ancre.)

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Chapitre 3.

MON PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER
ou
À LA RECHERCHE DE LA DOUCHE CACHÉE.

Gaspé (Qc), Anse-à-Beaufils (Qc), Havre-Aubert (IDLM), Cap-aux-Meules (IDLM.), Dingwall (Cap Breton), Port-aux-Basques (TN), Saint-Pierre et Miquelon (Fr), Grand-Bruit (TN), La Poile (TN), Port-aux-Basques (TN), Millerand (IDLM.), Gaspé (Qc). 18 jours, 940 M, 6 équipiers ( 5 vrais et moi), 1 capitaine.

C’était l’été 1998. L’année d’avant, mon Ulysse à moi partait en croisière pour deux semaines. "Ah, non merçi. Pas prête encore à vivre dans une commune flottante. Au revoir, mon Ulysse."

Ulysse de retour, j’apprends qu’ils ont fait des escales, rencontré, visité des gens intéressants, mangé au resto et surtout pris leur douche. Et j’ai manqué çà? Je ne peux plus me permettre de manquer quoi que ce soit qui risque de m’intéresser. Alors quand est arrivé l’été 98, les prétendants de Pénélope ayant été chassés par son fils, celle-ci décida de suivre Ulysse en mer.

Je ne pourrai vous raconter mon premier voyage, le plus beau jusqu’à maintenant, en une seule chronique. Heureusement pour vous que le voyage n’a duré que 18 jours. 'Celle qui commence' voudrait  aborder ce récit sous différents thèmes. Le premier étant: 'À la recherche de la douche cachée'. Mettons les choses bien en place. D’abord je vous rappelle votre promesse de compréhension. Qui ne dit mot, consent. Pas eu aucun commentaire de votre part. Alors, c’est entendu.

Partons si on veut revenir. Je ne suis pas obsessive, mais j’ai quelques obsessions (pas beaucoup quand même). L’une d’entre elles (je vous épargnerai les autres) c’est la douche du soir. Non, non je ne me sens pas sale et patati et patata. Non, j’aime çà. Point. Cela fait partie de mon processus d’endormissement. Les insomniaques me comprendront (peut-être)?

Il faut que je vous dise aussi que je ne savais pas, moi, qu’il y a une différence entre un quai public et une marina. Ne riez pas. Ce ne fut pas drôle du tout. Partis de Gaspé, quelques heures de navigation, probablement pour voir si je voulais rester, c’est l’Anse-à-Beaufils. Pas de marina, à l’épaule avec un bateau de pêche qui n’a pas eu de traitement anti-rouille et pas juste cette année. Pas de douche, c’est sûr. Pas trop grave, c’est le premier soir. Mais nous avons une traversée de plus de vingt heures devant nous le lendemain. J'écris dans mon journal personnel (pas un journal de bord): 'Dans quelle galère me suis-je embarquée?' C’était bien la première fois que j’utilisais cette expression en me croyant si près de la réalité.

Allons plus vite que 6 noeuds, sautons des escales et nous voilà arrivés à Port-aux-Basques la première fois. Zut, encore un quai public! Devant, le garage municipal. Plus jamais je ne ferai de blagues sur les Terre-Neuviens (pas ceux de Port-aux-Basques en tout cas). Ils nous ont ouvert leur garage municipal avec accès aux toilettes, laveuse, sécheuse et des douches. La joie!

Grand-Bruit. À voir absolument mais ce sera une autre chronique. Arrivés avant le traversier du matin. Besoin d’une douche. Plus jamais je ne ferai de blagues sur les Terre-Neuviens (pas ceux de Grand-Bruit en tout cas). Ils nous ont loué pour presque rien, une maison tout compris, la douche aussi bien sûr. Le bonheur! En retournant au bateau, tout heureuse et propre, je suis tombée dans l’eau salée. Pas encore une douche? Aurais-je oublié de vous dire que lors de ce premier voyage, dans mon inexpérience, l’important pour moi n’était pas le vent?

J’ai omis Dingwall avant Port-aux Basques. Dingwall, à oublier pour tout. Je vous en parlerai quand je voudrai pleurer un bon coup et vous entraîner avec moi. De retour à Port-aux-Basques, samedi 17 heures, le garage municipal fermé et il n’ouvre pas. Je regrette presque ma promesse de ne plus faire de blagues sur eux. Pourquoi ne pas partir puisqu’on ne peut pas prendre de douche?

Tiens donc, le vent commence à m’intéresser? Non on ne peut pas, vent contraire, crachin, froid. Deux jours. Assez pour découvrir la sorte de bateau fait pour moi. Mais assez aussi pour visiter les installations qui reçoivent les voyageurs du traversier. Assez pour dénicher quoi? Un peu gênée de vous dire que prendre une douche avec du savon pour les mains et s’éponger avec du papier brun, c’était presque trop de plaisir en même temps. Vous avez vu l’annonce de la fille qui va se laver les cheveux pendant que le gars fait le plein et qui crie quelques onomatopées de plaisir?

Je termine et je vous laisse aller prendre une bonne douche après ma plus belle histoire. Millerand (IDLM.). Arrivés au petit matin encore. Il parait que c’est comme ça que l’on fait des traversées. Enfin. Nous accostons. Bien sûr à un quai public. Fatiguée, vannée, ras-le-bol. Beaucoup de pêcheurs s’offrent à nous conduire au camping. Pour entendre rendus là: 'Non les douches c’est pour les campeurs.' Retour à la case bateau. Ulysse, Pénélope et un vaillant guerrier repartent tous les trois à pied vers un petit resto. Les autres se couchent.

Pouvez-vous nous trouver un taxi pour Havre-Aubert? Cet ancien chauffeur de taxi, ancien pêcheur nous a amené chez lui, où nous avons pris vous savez quoi? Il nous a ensuite conduit à Havre-Aubert pour manger, nous a fait visiter les Iles comme un Madelinot et nous a ramenés au bateau, repus, propres et fatigués. Ha! La plaisance! Béni soit cet homme qui s’ennuyait.

Si nous passons à travers la fin de cette folie qui nous guette, je vous ferai la suite: "Rencontre du 3ième type avec E.T." À moins que je ne change de titre… D’ici là passez un beau Noël. Je penserai à vous (c’est sûr…) dans la nuit du 1ier janvier 2000. Où? Ulysse et moi recevrons nos sujets (oups comme dirait Robert, nos invités plutôt) dans l’eau à 30 degrés.

Je ne vous fais pas marcher. Nous serons au Québec dans une piscine louée pour l’occasion…

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Chapitre 4.

MON PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER:
RENCONTRE DU 3ième TYPE AVEC E.T.

Il me faut admettre que depuis ce voyage j’ai compris beaucoup de choses de la vie sur un bateau. Je n’ai pas dit les manoeuvres ni une certaine philosophie de la voile qui m’échappe encore. Mais je m’égare de mon propos. Qui est bien sûr, ma rencontre avec E.T. Il est important de saisir que depuis ce voyage mais surtout depuis que Svenska est avec nous, Ulysse et moi, je peux comprendre le comportement de E.T. durant ces 18 jours de croisière.

Je l’avais déjà croisé de manière fugace. Il me paraissait sympathique et pas du tout menaçant pour moi. C’était sans compter que je n’étais pas encore dans son antre. Bon il va falloir encore que je vous ramène en arrière. Vous souvenez-vous la première fois que vous avez eu à utiliser une toilette de bateau? Si vous me répondez que vous saviez en partant qu’il fallait donner tant de coups pour la vider et après tant de coups pour la rincer, je ne termine pas cette chronique. Bon faites un effort. Imaginez. Moi je n’ai jamais fait de camping (tant mieux). Alors les toilettes chimiques, les toilettes marines, vous dire tout l’intérêt que je leur portais. Mais enfin. J’étais dans le royaume d’E.T. A Rome on fait comme les Romains. Sur un bateau, on fait comme le capitaine. Docile, tout le long du voyage (sauf une fois après Dingwall, pardon E.T.) j’ai compté religieusement les coups de pompe.

Toujours pour vous aider à me suivre, je vous fais cette confidence: j’ai eu trois enfants que j’ai tenté d’élever… Ce qui signifie que pendant toutes ces années j’ai répété inlassablement de ramasser, de vider le comptoir, de le laver et de l’essuyer, fais ceci, ne fais pas cela. Imaginez ma réaction quand le capitaine a voulu me montrer comment essuyer un comptoir avec des essuie-tout parce que l’eau endommage le tour des robinets. J’ai failli grimper jusqu’à la girouette. Reconnaissant son titre de capitaine il devint quand même pour moi: E.T.

Pour ce qui est de l’utilisation de l’eau potable, sujet litigieux s’il en est un sur un bateau, je savais pertinemment qu’il fallait en user avec parcimonie. J’espère que vous n’avez pas eu de doutes sur mes connaissances des us et coutumes marines. À bien y penser, je devrais dire plutôt: moi, rationnellement alors que E.T. voulait parcimonieusement. Tout un monde entre ces deux mots. Selon le dictionnaire, "rationnellement: qui est fondé sur la raison" (la mienne bien sûr). "Parcimonie: épargne rigoureuse, jusque dans les plus petites choses" (E.T. bien sûr). Vous me voyez venir? Total de secondes pour un brossage de dents: Thérèse: 20. E.T.: 8. Je ne gagnais jamais. Je vous le dis: jamais. Si je me forçais et que je baissais mon compte à 18, il diminuait le sien à 6. J’en étais venu à me dire que E.T. devait avoir beaucoup moins de dents que moi.

Si ma supposition, qu’il était partiellement édenté, était vraie, alors pourquoi avais-je cette crainte qu’il me morde? Ce qu’il aurait pu faire avec raison au moins une fois s’il ne s’était pas contrôlé. C’était au tiers du voyage, tout le bateau, l’âme des marins comme celle du bateau devait être encore imprégnée des mauvaises ondes ressenties à DingWall. Nous naviguions. L’heure était venue. Du jus. Pourquoi ai-je fait ce choix pour Ulysse? Question hautement existentielle qui me hantera toute ma vie. Pourquoi ai-je choisi pour Ulysse un jus de raisin? Pourquoi? Mais surtout pourquoi, moi Pénélope, femme noble et rangée (en fait qui range tout d’habitude) ai-je décidé de laisser cette petite boite de jus sur la marche menant du cockpit au carré? Je revois ce pied (à qui appartenait-il donc) écrasant ce carton comme pour le préparer au recyclage, expulsant d’un jet ce jus de la couleur que tout parent ne peut plus voir. J’ai pensé faire justement comme un enfant. Faire comme si de rien n’était puisque personne ne s’était rendu compte de rien. Mais une autre question me martelait les oreilles: pourquoi ce hublot s’ouvrant dans le cockpit était-il justement ouvert, y laissant entrer quelques gouttes de ce liquide empoisonné? Malheureuse comme Pénélope attendant Ulysse, je serais descendue n’importe où, même sur un quai public. J’étais certaine que E.T. cette fois laisserait sortir sa colère et qu’il me mordrait. Je le croyais  tellement que j’étais sur le point de lui tendre mon bras pour qu’il y plante ses crocs. Non, étonnant, mais ce n’est pas ce qu’il a fait. J’ai enfin vu la vraie nature sortir de E.T. Des rouleaux d’ E ssuie- T out sont apparus dans le cockpit pour ne faire qu’une grosse boule mauve. J’ai été convertie sur le champ et accepté ses règles. C’en était fini de ma révolte. On ne navigue pas sans essuie-tout.

Janvier est si long, février si court. Fera-t-il trop froid ou trop chaud? La neige sera-t-elle belle pour le ski de fond? Pas de cours en vue pour janvier, ni à l’IMQ ni aux ECP? Aurons-nous fini de vernir tout ce bois de Svenska? Si j’ai le choix entre une belle journée de ski ou écrire mon voyage selon le thème ‘La Navigation de Plaisance’, le choix entre Grand-Bruit et le silence de la neige; quel dilemme!

Alors à février peut-être? Si ma chronique n’y est pas c’est que contrairement à Ulysse se refusant à l’appel des sirènes, j’aurai moi, à mon corps défendant répondu à l’appel de la neige.

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Chapitre 5.

MON PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER:
LA NAVIGATION DE PLAISANCE.

J’ai l’air de m’exprimer facilement comme ça quand vous me lisez, cependant j’ai mis beaucoup de temps avant d’arriver à verbaliser une de mes premières interrogations. J’arrivais dans ce milieu de la navigation, en particulier celui de la voile avec tout son vocabulaire fort beau, sans nul doute mais combien différent et incompréhensible souvent pour une non initiée. Vous n’aurez aucune difficulté à croire que lorsque j’accostais avec le pédalo de ma mère,  je n’arrivais ni par le babord ni par le tribord. Non, on arrivait tranquillement et on ne parlait pas de notre vitesse en noeuds. En fait c’était tellement lent que par belles journées, on sautait à l’eau et le pédalo avançait par la poussée de notre nage. Ça c’était de la plaisance, capitaine!

L’IMQ nomme son cours "Introduction à la navigation de plaisance". Les ECP eux, intitulent le leur tout simplement: "Le cours de plaisance". Vous admettrez avec moi que le mot Plaisance revient souvent. Plaisance, plaisanciers. Pourquoi tant insister sur cette notion? Et Navigation de Plaisance en opposition à quoi? Navigation déplaisante? Il y a anguille sous roche. Je me méfiais (avec raison je le sais aujourd’hui).  Surtout que lorsqu’enfin j’osais poser ma question, je déroutais les hommes (ce qui n’a rien de nouveau, ma vie de femme est remplie d’hommes déroutés) mais je m’égare encore. Donc ces hommes déroutés me répondaient presque: "Tu parles d’une question". Mais comme ils n’osaient pas me le dire aussi directement, de peur de décourager ma curiosité naissante, ils se hasardaient dans l’explication: "Bien c’est pour la différencier de la navigation marchande". "Ha oui? Et la navigation marchande est déplaisante?". Bon encore un autre parti en déroute. D’accord j’arrête de faire comme si je ne comprenais pas. Je le sais que la navigation marchande n’est pas déplaisante: pas de douche obligée, pas de femme à parler (à moins que l’on ne soit le Capitaine sur certain navire) juste le travail, la paix, la vie dure quoi. C’est comme les marins qui font de la course. Entendu dans l’émission "Mer et Monde" qu’ils coupent le manche de leur brosse à dent pour diminuer le volume et le poids de leur bagage! Je n’ose pas imaginer le nombre de secondes qu’ils prennent pour laver leurs dents. D’ailleurs, le font-ils? "Après tout, on est entre hommes."

Comme à chaque fois, je vais vous expliquer mes valeurs afin que vous ne vous fassiez pas d’idées préconçues. Supposons que j’aie décidé pour toutes sortes de raisons (sur lesquelles je n’élaborerai pas ici) de faire du conditionnement physique le matin avant d’aller travailler. Supposons que l’une d’elles serait que je sois capable un jour pas trop lointain (avant que je décline) de remonter l’ancre seule. Quand je fais du step, de l’aqua-jogging, ou de l’aéro-boxing, j’en arrache, c’est sûr, c’est loin d’être toujours facile. Ceci étant admis, je ne m’attends pas à faire de la voile  sans effort comme si j’étais à moteur. Premièrement je m’ennuierais à ne rien faire et ensuite j’ai malheureusement perdu « le petit rien du tout Â» qui va si bien dans un bikini pour faire la figure de proue sur un bateau à moteur. Non, maintenant on m’utilise plutôt pour faire gîter le bateau pour le sortir de la vase quand l’eau du Richelieu est trop basse. Flatteur!

J’en viens au fait. J’entends Ulysse se plaindre de mes préambules trop longs! Donc je m’attends en faisant de la voile à travailler un peu, ce qui peut être très compatible encore avec la notion de Navigation de Plaisance. Vous me suivez toujours?

Mais. Bien sûr qu’il y a un "mais" Comment voulez-vous que j’écrive une chronique si tout est parfait? Vous souvenez-vous, j’ai déjà glissé en douceur que ma perception de la philosophie de la voile était: "comment s’agiter  pour pas grand chose". Bonne ou mauvaise, cette perception est basée sur de petites observations comme…

Il était 7 heures. Nous étions déjà ou enfin (c’est selon) à 9,3 M de Port-aux-Basques en route vers les Îles de la Madeleine. Nous avions quitté le quai à 5 heures! (de vraies vacances). Ulysse a écrit dans le journal de bord: "arrêt moteur, GV, Génois tangonné en ciseaux". Il ne parle pas de vent. Pas de quoi déplacer une bretelle de bikini. J’oubliais. On était en manches longues et je ne porte plus de bikini.

Imaginez je n’avais pas encore compris l’idée du 135 ou 150%. Plus encore. Bon d’accord vous avez le droit de rire. Je ne comprenais pas non plus (mais était-ce important?) pourquoi on faisait tant de boucan à vouloir changer ces pristis de voiles de côté. Ça allait très bien comme ça. J’étais loin du mot amure. Il me semblait que si le vent changeait de bord, il aurait tout simplement changé de côté  le gonflement de la voile. Pis après? La conversation habituelle a repris. Combien de fois me suis-je demandé pendant cette croisière: "Pourrions-nous parler d’autres choses que de vent?"

Je n’exagère pas. Pendant trente minutes après avoir décidé de sortir le spi de sa chaussette (encore une autre affaire) il a été discuté: on tangonne ou on ne tangonne pas? Je n’ai jamais été aussi silencieuse. Je n’avais aucune idée de quoi il retournait, mais il se passerait quelque chose, je le sentais. Mon coeur a eu quelques embardées, un peu plus et je me mettais à faire de la tachycardie. Bon il faut que je fasse attention à mes propos. Les gens de voile ont beau être en général des pacifiques, je ne veux pas mourir lapidée. N’oubliez pas que je ne participais pas à cette manoeuvre "périlleuse". Alors assise sur le banc j’ai pu voir ces matelots (il y avait une fille aussi, parfois nous aurions avantage à ne pas vouloir faire comme les hommes) s’échiner à  1) détacher le tangon  2) enligner le tangon pour rejoindre le spi. Quarante-cinq minutes, trois au moins avec ce bélier dans les bras, les deux autres à les encourager. Oups c’est trop haut, oups trop bas. J’étais rivée sur ma banquette. Ils avaient l’air normaux avant. Puis ils ont enfin réussi. Du moins j’ai compris que c’était ce à quoi ils voulaient en venir. Revenus dans le cockpit, je les reconnaissais. Quoiqu’ils semblaient transportés par une joie que je trouvais suspecte. Ca n’a pas duré non plus. Ha les bonheurs éphémères! Trente autres minutes. Constatation faite (après moultes discussions bien sûr) que ce tangon ne changeait pas grand chose, il fallait décider. Qu’est-ce qu’on fait? On l’enlève ou on le laisse?  Je me disais que dans une journée de travail chacun devait prendre cinquante fois des décisions aussi importantes sinon plus que celle-là. De là ma théorie naissante que la voile nous rend indécis, rend notre esprit ondulatoire comme les vagues: avec des creux et des crêtes. Bizarre; personne ne m’a demandé ce que j’en pensais. Je me doutais depuis le début que tout ce qu’il faisait ne servirait à rien ou presque sinon à occuper des matelots qui s’ennuient quand il n’y a pas de vent. D’autant plus que ces mordus de voile n’osent pas s’avouer à eux-mêmes que lorsqu’Éole ne les aide pas, ils pensent à ce que ce serait sur un bateau moteur.

Je vous avais laissé entendre que je vous parlerais dans cette chronique de février de Grand-Bruit et de tout ce que j’avais aimé, trouvé beau, remarquable. J’hésite. De crainte de vous ennuyer. On utilise souvent l’expression "photos-souvenirs". Parce que ce sont des souvenirs pour chacun qui l’a vécu; une image se forme parfois avec une luminosité, une musique, parfois avec une odeur, une ambiance. Avouez que c’est un peu ennuyant que de regarder les photos de voyage des autres? Alors je me demande, comment trouverez-vous les miennes surtout sans image, juste en mots.

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Chapitre 6.

MON PREMIER VRAI VOYAGE EN VOILIER
LE VOYAGE

En principe et en pratique l'apprentissage de la voile se fait graduellement. Par exemple, on commence par une sortie sur l'eau une fin de semaine, une semaine, puis deux, pour arriver à une croisière comme nous l'avons fait de 18 jours. A ce rythme-là, il aurait fallu que j'attende ma réincarnation pour aller dans le golfe du Saint-Laurent. Et question non négligeable: Ulysse aurait-il attendu Pénélope comme elle-même l'a fait? Pénélope dans sa grande sagesse préfère ne pas connaître la réponse; d'autant que cela aurait été une grande perte pour Ulysse. Bon je m'égare encore comme à chaque fois que je m'approche de la mythologie.

Ce que j'essaie de vous dire depuis le début, c'est que d'une part j'avais trop d'apprentissage à faire, un monde trop différent (pas de douche quoi!) pour que j'apprécie tout ce que je voyais. D'autre part, je ne suis pas attirée nécessairement par ce que tout le monde aime. Mais non, je ne suis pas désabusée. Au contraire. Je ne peux l'être, je n'ai rien vu ou presque. Cependant j'avais déjà été voir les baleines à Tadoussac, en Zodiac. Cette course qui n'était pas censée en être une m'avait beaucoup impressionnée. Avec le recul, je crois que c'était plus la vitesse du Zodiac et l'émerveillement de mon fils que les baleines elles-mêmes. Je me souviens m'être dit à chaque fois que j'entendais:" "Une baleine!"" et qu'elle n'était plus là; mais à quoi ca sert de venir voir ces baleines? Je me demande si les baleines ne sont qu'un prétexte pour nous faire voyager. Chères bêtes, le sommes-nous assez avec elles pour les poursuivre ainsi! Décidément le film Moby Dick m'a mis à l'envers.

Dix ans plus tard c'est sur un voilier que j'ai eu la chance de voir une baleine face au rocher Percé. Ulysse me dit que c'est rare, parce que les baleines se tiennent un peu plus au large d'habitude. En fait, justement ça commençait mal, tout le monde l'a vu, moi pas. Le temps que je la situe, plouc, splash, elle n'y était plus. Par contre (fermez vos yeux et imaginez) c'était impressionnant: un troupeau de dauphins suivant le bateau pendant plus d'une demi-heure. Un vrai film de Walt Disney en 3D. Au moins une vingtaine de ces gracieuses bêtes si enjouées entre Port-aux-Basques et les Îles-de-la-Madeleine. Si l'eau du golfe n'avait pas été si froide, j'aurais bien aimé plonger avec elles, retrouver ce côté ludique des dauphins. D'accord, d'accord Ulysse (parfois je le retournerais avec le cyclope celui-là, pas avec Circé, pas folle quand même) ce ne sont pas des dauphins, ce sont des globicéphales noirs! De la famille des cétacés comme les baleines. Ils sautaient quand même comme des dauphins, bon. Époustouflant.

Port-aux-Basques.

Paysage montagneux, rocheux, immense. Un gros astrolabe (ancêtre du sextant) dans le haut du village. Bouffe moyenne. Gens accueillants, curieux des nouveaux arrivants en bateau. Pourquoi ce nom? Les Basques devaient y venir pour pêcher. A fouiller à la bibliothèque dans nos (vos) moments libres. Quai public, vous vous souvenez? Motel en face de ce quai, quand après une traversée houleuse on n'est plus capable de voir le bateau; avant de vouloir le vendre ou pire de le donner ou encore quand on arrive de Dingwall.

C'est à Port-aux-Basques que nous avons rencontré un couple à la retraite, très sympathique d'ailleurs, de Terre-Neuve. Étant à leur retraite, c'est à leur rythme qu'ils font le tour de leur île. Important, le rythme. C'est ce que j'ai découvert. Le mien n'est pas de 940 M en dix-huit jours incluant quatre traversées de nuit. Ce couple naviguait sur un modèle de bateau très intéressant pour quiconque (comme moi par pur hasard) refuse la navigation uniquement propulsée par un moteur et qui veut retrouver la vraie PLAISANCE( un certain confort) dans la navigation. Un 50/50, un voilier-moteur ou comme diraient ces chers Français, un Motor-Sailor. Bien que je sois ''Celle qui commence'' je sais que des puristes de la voile lèvent le nez sur ces bateaux. Moi pas du tout et Ulysse non plus d'ailleurs. C'est plutôt notre compte de banque qui est récalcitrant. Je n'en ai pas vu beaucoup. Pas à l'expo-nautique de Toronto, certainement pas non plus à Montréal. Déjà difficile de réussir à voir plus de cinq voiliers. Le dernier 50/50 que j'ai pu voir, le plus beau jusqu'à maintenant et encore je ne l'ai vu que de l'extérieur c'est le M'Aline. Ils sont partis, je crois vers le sud. Leur bateau était chez Gosselin. Un Finch je crois. À quand le jour où je verrai sur un tel bateau "Ma Pénélope". Je serai prête à passer l'éponge sur le côté possessif du nom.

Saint-Pierre et Miquelon.

Nous sommes arrivés le 14 juillet. Difficile de se mêler à la fête en débarquant le jour même. Cependant même loin de l'Europe, la bouffe française garde sa réputation. Vous dire que je retournerais à St-Pierre juste pour goûter à une entrée de champignons au fromage bleu, est à peine exagéré.

Grand Bruit.

Fermez encore vos yeux: une chute (pas juste un petit filet) venant d'un lac en amont, traverse le milieu du village et rejoint la mer. Un petit pont nous permet de passer par dessus. Entendez-vous l'eau tomber? Romantique n'est-ce pas? Mon regard fou qui dit à Ulysse: "Toi, moi, la mer…" Ouvrez vos yeux et regardez Ulysse qui trouve bien belle cette chute mais qui n'arrête pas de tripper sur deux côtes de baleine à côté du quai. Mais pourquoi donc serais-je jalouse de Circé? Je découvre qu'il faut attacher Ulysse au mât quand il voit des côtes de baleines, non pas quand il entend les sirènes. Pas de route, pas d'auto dans ce coquet village de pêcheur, d'une propreté éclatante. Me v'la rendue à écrire comme dans la publicité de savon! Leur eau potable vient du lac. Leurs déchets, ils les brûlent eux-mêmes dans la terre, un espace réservé à cette fin. Pas de taxes foncières, bien sûr.

Tiré de mon journal personnel, le dernier jour de la croisière:" Le tout a été très difficile. Ce matin j'étais triste. Pas pour la même raison que les autres. Pas parce que la croisière se termine. Plutôt le contraire: trois semaines de vacances et je suis si fatiguée. Mais ce voyage aura apporté beaucoup d'informations sur comment je veux, sur comment Ulysse aussi veut faire de la voile, sur comment nous allons naviguer ensemble. Pour l'instant je ne veux plus entendre parler ni de vent, ni de virements de bord.

L'important c'est que mon fils se marie dans deux jours. (Demandant un conseil sur un vernis à ongles le jour de mon retour, une belle cosméticienne fardée en regardant mes mains me ramena aux vraies valeurs: ''Vous savez madame, il y a des choses qui se s'arrangent pas!" Un phoque se promène tranquillement dans la baie de Gaspé. Il a l'air si paisible et si heureux dans l'eau. Il avait sûrement beaucoup voyagé pour être aussi serein. Je pensais à ma Capucine que je reverrais. J'aime beaucoup les voyages. J'aime beaucoup les retours.

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Chapitre 7.

LA NAVIGATION DE NUIT
ou
LE SUPPLICE DU SOMMEIL

* ? Pleurs de bébé ? la nuit .

* ! Pas déjà! On vient de se coucher..

* "Ulysse, le p'tit Télémaque pleure." Ulysse dort du sommeil du guerrier.

* Je suis si fatiguée. Nous n'aurons pas d'autres enfants. Les nuits sont trop difficiles.

* Trois fois Pénélope se fit cette promesse. Trois beaux enfants. Mais combien de nuits à s'arracher du sommeil.

* Dring.Dring. Sonnerie de téléphone "Mme Drasse on a besoin de vous à l'hôpital. Quatre heures du matin. Sur appel. Mauvaise habitude : plutôt que de dormir, je passe les nuits de garde à attendre le téléphone. Épuisée je serai presque soulagée quand l'hôpital fermera.

* Boum, boum, boum. Bruits de musique. Ha non pas encore. C'est l'été et nos voisins de cours adorent veiller et nous faire écouter leur musique. Foglia a déjà écrit une chronique sur le sujet. Le titre : FERME TA FENÊTRE.

* 3.30 H. Paroles susurrées à l'oreille. Pas ce que vous pensez. " Chérie, c'est l'heure de notre quart". Ce n'est pas vrai. Bien entendu, pas de douche pour aider à se réveiller. Mais qu'est-ce que je fais ici?

"C'est Zeus qui m'a ordonné de venir ici, contre ma volonté. Qui, de son gré, parcourrait un si grand espace d'eau salée, plus étendu qu'on ne saurait dire?" (L'Odyssée/chant V) Ainsi parlait le messager de Zeus à la nymphe Calypso .

Ma première navigation de nuit fut aussi ma première traversée. Les deux vont de pair. Pour moi c'est évident; on ne navigue pas de nuit sans y être obligé. Depuis que je suis dans ce monde (merveilleux/épouvantable, à votre choix…) de la navigation, je n'en suis pas à une erreur près, vous le savez , vous qui me lisez avec tolérance et compréhension depuis le début. Alors ma prémisse est fausse. Certains naviguent de nuit juste comme ça, sans y être obligés. Je le comprends surtout depuis que Ulysse essaie de me convaincre de faire le marathon du Clair de Lune.

C'était la première traversée de l'Anse-à-Beaux-fils vers les Iles-de-la-Madeleine. Nous étions deux équipes de trois. Nous ne pouvions pas faire trois équipes de deux puisque je ne comptais pas, étant donné que j'étais considérée comme un membre inutile, titre qui m'allait comme un gant malgré que j'aie essayé de l'enlever à quelques reprises. Donc, des quarts aux quatre heures (comme les boires ou presque; je vous le dis, il y a beaucoup plus de similitudes que vous ne pensez, entre autres, les deux nous privent de sommeil). Minuit: notre premier vrai quart de nuit, "Ulysse", chef de quart, "vaillant coéquipier" et "membre inutile". Vaillant coéquipier se penche régulièrement par dessus les filières quelques instants pour ensuite reprendre sa position couchée sur la banquette. Les premières fois, je me demandais ce qu'il pouvait bien chercher ainsi. Tant qu'à Ulysse, vert, il est assis, l'air de se concentrer sur son intérieur (ce n'était pas de l'introspection). Pas le choix,"membre inutile", les deux mains soudées à la roue et les deux yeux rivés au compas. " C'est quoi ta route?" Le capitaine qui semble dormir dans le carré, pose cette question à intervalles réguliers. Mais, à part la crainte que tout le monde vire au vert et m'abandonne seule dans cette nuit noire, je me porte très bien. J'aime l'air de la nuit, j'aime le silence de la nuit, j'aime la noirceur de la nuit quand je sais qu'il n'y pas de danger. N'empêche que je me questionne: malades comme ça et ils aiment naviguer? Maso un peu, non?

J'ai eu la chance d'avoir mes choix de quarts. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Vingt heures à minuit et quatre heures à huit heures. La chance, c'était de pouvoir dormir entre minuit et quatre, heures qui normalement font parties de la nuit. Sauf que. Oui, il y a encore un mais. Pouvoir, veut dire avoir la possibilité de... bien sûr. Je ne sais pas comment étaient constitués les autres. C'est au dessus de mon entendement. Ce que je sais par contre, c'est que "membre inutile" à minuit et demi ne dormait pas, ni à une heure, vers 2 heures je commençais à sommeiller. En début de croisière, à 3 heures et demi, j'étais réveillée au cas où ...et pour commencer à mettre mes verres de contact. SVP retenez votre question : pourquoi avais-je besoin de voir pour ce que j'en faisais? Appréciez plutôt l'exploit de mettre des lentilles cornéennes sur un voilier qui fait route dans le golfe, à trois heures et demi. Une nuit j'ai flanché et j'ai mis mes lunettes. Une photo me le rappelle. Avec une image pareille, j'approuve Ulysse qui préfère une côte de baleine.

Quatre heures à huit heures. Quel beau quart! Quand on a réussi à passer par dessus la fatigue, bien sûr. Le plaisir, la joie de voir le jour se lever. Vivre cette ambiance particulière, sentir l'odeur du matin, faire un concours de temps de brossage de dents avec E.T., voir poindre le soleil. Remarquez que quand "membre inutile " est bien mélangé, un lever et un coucher de soleil se ressemblent beaucoup. C'est juste pas à la même place à l'horizon. Aussi beau l'un que l'autre. Et le plus gros avantage de ce quart, est que c'est le nôtre qui fait les approches. Pour être honnête avec vous cette expression n'est pas de moi; elle est d'Ulysse. Ce fut d'ailleurs une amère déception. Je croyais qu'Ulysse aimait faire Mes approches. J'ai découvert qu'il adore plutôt faire les approches d'un quai! Enfin. L'important c'est qu'on arrive quelque part.

La navigation de nuit représente pour moi un dilemme. Les aurores boréales, la mer qui scintille par le mouvement des planctons , même les aurores tout simplement. La satisfaction, le fierté d'être passé à travers son quart. Mais la fatigue qui nous colle à la peau, les arrivées au petit matin, Pénélope et Ulysse qui ne se supportent plus. Et la question: à quoi ça sert d'arriver là si on a plus la force de voir cet endroit, de rencontrer les gens? Comment faire des traversées de plus de 20 heures sans naviguer de nuit?

La solution? Quelle est-t-elle? Dans l'équipement? Un pilote automatique? Un radar? Ferais-je confiance à ces instruments? Prendre le temps de récupérer en accostant avant de partir à la découverte? Alors, c'est le rythme qu'il faut adapter à nos capacités? Pas convaincue que ce soit la seule solution et la bonne. L'expérience me l'apprendra peut-être.

Je voudrais vous citer un petit paragraphe que Philippe Cantin a écrit dans la Presse du 31 décembre 1999 sur le thème du bonheur: "Un vieux dicton dit: 'Partir, c'est mourir un peu' Pas d'accord. Partir, c'est vivre à plein. Partir, c'est découvrir d'autres gens et d'autres cultures. Partir, lorsqu'on a des yeux pour voir, des oreilles pour écouter et un coeur pour sentir, c'est grisant. Car tout voyage réussi se double d'un autre, à l'intérieur de soi celui-là. Rentrer à la maison les valises pleines d'idées nouvelles et de certitudes brisées, c'est aussi le bonheur."

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Chapitre 8.

LE TRIANGLE AMOUREUX:
UN COUPLE ET UN BATEAU

Un jour, Ulysse dit à Pénélope: "Partons en mer. Je sens qu'Éole nous portera loin. Laissons-là nos trésors; nos sujets sauront nous garder leur fidélité. Les dieux seront avec nous".

Pénélope eut quelques réticences dont elle fit part à Ulysse: "Ne crois-tu pas Ulysse que je pourrais enfin jouir de la paix de mon royaume tout en t'ayant à mes côtés?" Pénélope connaissait bien son Ulysse. Quoiqu'on peut se demander comment elle pouvait être aussi sûre d'elle alors qu'il avait été absent si longtemps. L'histoire ne le dit pas et les revues féminines n'existaient pas encore. Pas de 'Femmes Plus', ni de 'Elle Grecque', rien pour aider Pénélope. Mais elle savait. C'est pour cela qu'en son for intérieur, qu'elle ne partageait pas avec Ulysse, elle se demandait si elle lui faisait construire un autre Cheval de Troie, peut être serait-il heureux de rester en place avec elle. Ils pourraient tous les deux jouer à la guerre. Elle lui dirait: "Tiens c'est à ton tour de te cacher à l'intérieur du cheval". Plus que cela. Elle était même prête à lui laisser toujours son tour d'attaquer et elle de se laisser envahir. Cependant Pénélope, même si elle n'était pas une déesse, fut bien inspirée. Elle se tut et partit contre vents et marées avec Ulysse.

Un jour, Ulysse dit à Pénélope: "Partons en fin de semaine et allons à notre bateau au lac Champlain. Météo Média annonce de bons vents. Laisse faire le ménage, il sera toujours là quand nous reviendrons. Les chats t'aiment assez pour se passer de toi quelques jours. Tes vœux seront exaucés, nous serons seuls tous les deux à l'ancre. Et puis tiens, tu décideras de la route et nous irons à ton rythme". Pénélope eut quelques réticences dont elle fit part à Ulysse. "Ne pourrions-nous pas, Ulysse, rester en ville cette fin de semaine, une fois de temps à autres. Nous pourrions aller nous balader dans le Vieux-Port, faire du vélo ou tout simplement rester à la maison tous les deux, seuls, sans courir? Et puis mon bien-aimé Ulysse, as-tu découvert une baie inexplorée sur ce lac Champlain pour que tu croies que nous serons tous les deux seuls?" Pénélope connaissait bien son Ulysse. Quoiqu'on peut se demander comment elle pouvait être aussi sûre d'elle, parfois ils étaient loin, l'un de l'autre, même ensemble. L'histoire le dira peut-être. Toutefois, rien n'est moins sûr. Malgré tout, Pénélope savait à quel point Ulysse tenait à partir en bateau en fin de semaine. C'est pour cela qu'en son for intérieur, qu'elle ne partageait pas toujours avec Ulysse, elle commença à préparer son horaire: mercredi, pendant son heure de dîner, la liste d'épicerie; mercredi soir en sortant du travail, l'épicerie. Jeudi soir: faire mariner la viande parce que cela se garde mieux, bien sûr, dans une glacière; laver les fruits et les légumes pour éviter d'utiliser l'eau sur le bateau; faire le mélange d'ingrédients secs pour les crêpes du dimanche matin et quoi encore. Heureusement que les draps ("santé" qu'elle voulait pour son confort!) sont lavés depuis lundi matin (une p'tite brassée avant d'aller travailler) et séchés depuis lundi soir. Ainsi elle serait prête à partir vendredi soir. A quand la semaine de quatre jours!

Contrairement à Pénélope de l'Odyssée, nous, les Pénélope de la génération des loisirs(!) ne voulons pas rester sur terre pour attendre notre Ulysse. Et c'est là toute une différence. Alors la question que je me pose c'est jusqu'où nos Ulysse sont prêts à aller dans leurs concessions (ex: sortir à 10 noeuds pas à 20) pour que nous les suivions, complices heureuses et que nous portions un amour aussi fort qu'eux le portent au bateau et à la navigation. Si je généralise (ce que je vais faire dans cette chronique sinon nous n'en sortirons pas pour la mise à l'eau) je peux me demander pourquoi les hommes aiment tant la navigation et pourquoi les femmes se font parfois (tant) tirer l'oreille. J'ai quelques théories là-dessus et la plupart vous les connaissez, puisque pour beaucoup d'entre vous, étiez dans ce milieu bien avant moi. Vous avez presque participé à l'Odyssée et vous avez bu du vin avec Homère, alors? Pourquoi n'en parlons-nous pas? Loin de moi l'idée de vouloir vous faire la leçon, vous pensez bien. Toutefois je ne peux ignorer que je suis une Pénélope et que tout Ulysse qui désire sa Pénélope sur son bateau aurait avantage à s'interroger sur la manière de la garder: idéalement sur le bateau mais aussi et surtout dans sa vie terrestre, la plus longue, il ne faudrait pas l'oublier.

Il y a le triangle équilatéral, le triangle amoureux heureux, probablement quand ce sont les deux dans le couple qui ont décidé de prendre pour amant un bateau. Les deux se sont aussi initiés ensemble aux plaisirs amoureux, pardon aux plaisirs de la navigation. Alors les deux ont appris en même temps et le niveau de connaissances et d'expérience est équivalent. Bon, une affaire de réglée. Comme quoi les gens heureux n'ont pas d'histoire. Ma chronique est finie; 'Guten Tag', je m'en vais au chalet.

Le triangle isocèle. Le triangle commence à se déformer quand les deux amoureux ne sont pas également en amour avec le bateau. D'abord ce sont les hommes en général qui ont les sous pour s'acheter un bateau. Il ne faut pas se le cacher, le salaire moyen des hommes est encore supérieur à celui des femmes. (Je ne vous casserai pas les oreilles avec ma grève qui vient de finir sans grande victoire salariale). Sans compter que nous les femmes adoptons souvent les loisirs des hommes. Heureusement qu'ils veulent garder pour eux seuls la chasse et la pêche. Fiou! Donc l'homme a le bateau; il éprouve déjà un amour envers celui-ci et si Ulysse et Pénélope ne sont pas à égalité c'est que souvent une nouvelle Pénélope arrive dans les filières. (Bizarre l'image qui me vient; c'est celle du lutteur projeter dans câbles d'un ring! Qu'elle est donc le numéro de téléphone de ma psychologue?) Récapitulons: Ulysse aime son bateau; il rencontre Pénélope et se met à l'aimer. Pénélope rencontre et commence à aimer Ulysse qui lui aime déjà son bateau. C'est simple, non? Je n'embarquerai pas dans mon questionnement concernant l'ancienne Pénélope qui est sortie des filières. Qu'a-t-elle cessé d'aimer? Ulysse? Le bateau? Ou Ulysse qui aime son bateau? Ou pire: Ulysse, qui aime son bateau, a cessé d'aimer Pénélope qui aime toujours Ulysse mais n'aime plus Ulysse, qui aime son bateau, parce que Ulysse aime plus son bateau que Pénélope. (Ne me demandez pas de ré-écrire ce texte). Entendu dans Mer et Monde que la navigation est souvent une grande cause de divorce. Parfois cependant les voyages en bateau peuvent souder les plus belles amours.

Il ne faudrait pas que je passe sous silence le triangle amoureux où c'est la femme qui forme la pointe du triangle. C'est Pénélope qui a entraîné son Ulysse dans cet univers aqueux. (n'y voyez aucun vilain jeu de mots). Mon échantillonnage est trop restreint pour que j'en tire des conclusions. Cependant je me pose la question: la femme initiatrice laisse-t-elle volontairement une place de choix, de prestige à son homme pour faire en sorte qu'il se sente le capitaine à bord, pour développer son âme d'Ulysse? Le Cheval de Troie prend la forme d'une roue ou d'une barre. Souvent les femmes autonomes sur un bateau ne sentent pas le besoin, comme certains hommes de porter le titre de capitaine. Peut-être ne tirent-elles pas gloire d'un titre, surtout quand elles savent qu'elles peuvent tout faire autant que le capitaine. Malheureusement je n'en suis pas là. Pour l'instant, en ce qui me concerne, un de mes critères d'autonomie à atteindre est lorsque la femme à bord est en mesure de sortir, de rentrer le bateau et de faire ses quarts, seule.

Nous sommes bien loin du début de l'apprentissage (le mien entre autres). Qu'en est-il des moyens, des trucs, des conseils que certains d'entre vous m'avez glissés? Vous dire que vous avez été nombreux à m'envoyer des courriels, serait mentir. Idem pour le nombre de couples qui se proposent pour la conférence ou le débat à l'amiable de juin. Je me questionne: ou ce sujet ne vous intéresse pas et alors je viens d'écrire cette chronique pour rien ou alors vous êtes tous dans cette salle des Triangles Amoureux Heureux. IL N'Y A JAMAIS DE DISCUSSIONS CONCERNANT LA NAVIGATION SUR VOTRE BATEAU???. Ai- je l'air aussi naïve?

Pour Pénélope: Certaines bases semblent être un pré-requis si le but est bien d'arriver à ce que Pénélope s'entiche de navigation: elle doit aimer le plein-air et ne pas avoir peur de l'eau. Fondamental n'est-ce pas? Avoir une curiosité envers la passion d'Ulysse. J'ajouterais, un respect de l'autre qu'on a choisit d'aimer. De là, s'il aime la navigation et que je l'aime, ça vaut la peine d’aller voir.

Pour Ulysse: Pour aimer un bateau, il doit nous être présenté. À part la coque pour flotter et les voiles pour avancer, à quoi sert tout ce qui s'y rattache. D'abord et avant tout, Ulysse doit avoir confiance dans les capacités d'apprentissage de Pénélope; sinon comment pourra-t-elle croire en elle-même? Respecter son rythme à elle (les Pénélope ont tellement d'autres choses dans la tête que le bateau, si vous saviez comment! C'est dans nos gènes). Exemple de phrase à ne pas dire: "Cela fait cent fois que je te le dis". Hein, vous n'avez jamais dit ça? Laissez moi rire!. Accepter que la notion de confort n'est pas la même pour les deux et agir afin d'augmenter son niveau de plusieurs crans. Et finalement la qualité la plus importante d'un Ulysse contrairement aussi à l'Odyssée dans laquelle Pénélope en était détentrice, c'est la PATIENCE. La patience de naviguer sous un vent léger alors que vous vous emmerdez afin qu'un jour vous puissiez naviguer par vent plus frais; mais alors vous ne serez pas sans votre Pénélope. Je sais que le temps n'est plus au romantisme, mais j'aurais tendance à comparer la patience nécessaire à l'apprentissage de la voile à la quête amoureuse d'une femme. Ne me dites pas que vous ne savez pas à quel point la patience finit par donner des ristournes. Coquins va, vous le saviez! En attendant ce jour bienheureux, respectez ses peurs. Pas juste les comprendre ou faire semblant de les accepter. Le respect: après tout Pénélope respecte la passion d'Ulysse et Ulysse respecte ses peurs. Quel beau couple. Trop d'émotions; j'ai une petite larme.

Tiré du livre La mer est ronde de Jean-Francois Deniau: "Disons aussi que les femmes qui aiment vraiment la navigation à voile sont rares. Le propre d'un bateau à voile est d'être instable et de manquer d'eau courante...". L'auteur dit qu'on peut tolérer qu'un équipier masculin soit vantard, paresseux et maladroit. Mais qu'on demande à une femme d'être discrète tout en étant présente, aussi naturelle qu'efficace, on s'attend à ce qu'elle soit parfaite.

"UNE FEMME A BORD QUI AIME LA MER MODÉRÉMENT, OU SIMPLEMENT LA SUPPORTE DE BON CŒUR EST UNE BÉNÉDICTION"

Et si tout ça ne fonctionne pas, il reste qu'Ulysse parte seul. J'imagine que si l'entente est acceptée par les deux ça doit marcher. Malheureusement ou heureusement pour moi, mon éditeur ne me laisse plus de place pour élaborer là-dessus.

Entendu dans Moby Dick: "Un homme démâté sent toujours l'espar qu'il a perdu" Faisait-il allusion juste à sa jambe, croyez-vous?

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Chapitre 9

LA FIN

Aussi bien vous le dire tout de suite: je vous ai monté un bateau. Ulysse par ci, Ulysse par là. Je ne parle pas du mien mais de celui d'Homère: le vaillant Ulysse, le patient Ulysse, le courageux Ulysse, le divin Ulysse. Si vous croyez que je suis en pâmoison devant Ulysse, détrompez-vous. Pas plus que devant Pénélope d'ailleurs. Désolée de vous avoir fait croire une telle chose.

Quelle est donc la vérité sur Ulysse? C'était un... En fait Ulysse était une homme fort, rusé mais un peu faible devant les femmes. Voici une partie de l'histoire: Calypso, une nymphe, une déesse le retenait captif dans son île. Au début Ulysse, au grand cœur, supportait bien cet état jusqu'à ce qu'il commence à trouver Calypso pas suffisamment humaine puisqu'elle était déesse, malgré ses formes très humaines. De là l'expression avoir un corps de déesse. Mais elle était immortelle et voulait offrir l'immortalité à Ulysse. Rien n'y fit, Ulysse n'en voulut pas. Ha, cette routine qui s'installe dans un couple… Même une déesse n'a pas réussi à garder la flamme ardente!

Laissons Homère nous raconter lui-même: "…Elle trouva le héros assis sur le rivage; ses yeux étaient toujours mouillés de larmes, et, pour lui la douce vie s'écoulait à pleurer son retour perdu, car la nymphe ne le charmait plus. Les nuits, il lui fallait bien reposer auprès d'elle dans la grotte creuse; mais ses désirs ne répondaient plus aux siens…"

Voyez, ce n'est pas d'aujourd'hui que les Ulysse se retrouvent en panne. Mais là n'est pas l'important. La suite, oui. Après que la nymphe Calypso eut finalement accepté de le laisser partir alors qu'il n'arrêtait pas de brailler qu'il voulait retrouver Pénélope; après avoir dit: "Je sais fort bien que la sage Pénélope n'est à la voir, ton égale ni pour la beauté, ni pour la taille". Bon, Pénélope n'est pas seulement patiente à outrance mais en plus elle est épaisse dans tous les sens. C'est ce qui arrive quand on passe son temps à faire de la tapisserie, on finit par faire tapisserie. Et Homère de continuer: " Il parlait ainsi; le soleil cependant se coucha et les ténèbres survinrent. Ils allèrent donc tous deux au fond de la grotte creuse goûter l'amour, en demeurant près de l'autre". On sait que ce n'était pas la première fois que Ulysse s'envoyait en l'air mais là, il aurait pu se retenir la veille de son retour.

Finalement l'Odyssée est l'histoire d'un infidèle qui a continuellement trompé sa Pénélope sous le prétexte qu'il ne pouvait pas s'en empêcher et il est revenu vers elle alors que sa testostérone baissait. J'ai écrit tout ça en riant. Ce ne sont que fantasmes écrits par un homme. Je n'arrive pas à imaginer ce que serait cette histoire si c'était une femme qui l'avait inventée. Ceci étant dit et maintenant que j'ai replacé Ulysse dans une juste perspective, j'aimerais attirer votre attention sur quelques lignes de cette Odyssée touchant particulièrement la navigation. N'est-ce pas ce qui vous intéresse?

La construction d'un bateau: Chant V

…Il planta un mât, auquel s'ajustait une vergue. Il se fit en outre une rame de gouverne, pour se diriger. Il munit tout le bâtiment d'un bastingage en claies d'osier, rempart contre la vague, et répandit sur le plancher beaucoup de feuillage. Calypso, l'auguste déesse, apporta des toiles, pour en faire la voilure, et Ulysse les disposa savamment comme le reste. Il attacha au radeau drisses, cordages et boulines, et put alors le faire descendre sur des rouleaux dans la mer brillante".

Et vous, où en êtes-vous dans la préparation de votre bateau pour sa mise à l'eau? Svenska doit avoir des côtés "vieille fille", c'est long!

La navigation céleste: Chant V

…Ainsi, il dirigeait avec art le gouvernail, et le sommeil ne tombait pas sur ses paupières; il regardait les Pléiades, le Bouvier qui se couche tard, et l'Ourse, qu'on appelle aussi le Chariot, qui tourne sur place en guettant Orion et, seule des constellations, ne se baigne point dans l'Océan. Calypso, l'auguste déesse, lui avait bien recommandé de le garder à main gauche en naviguant sur la mer."

Nos cours de navigation astronomique après ça vont manquer un peu de poésie.

La météo: Chant V

"…Les grandes lames le ballottaient en tous sens au gré du courant. Comme à l'automne Borée balaie, à travers la plaine des charbons emmêlés en paquet serré, ainsi. Par la mer, les vents l'entraînaient ça et là; tantôt le Notus le jetait à emporter à Borée, tantôt c'était l'Euros qui cédait la poursuite au Zéphyr."

Le mouillage: Chant V

"…Il n'y avait pas de port pour recevoir les nefs, point de rade où s'abriter;

…à la recherche d'un rivage en pente et d'anses de mer."

 La navigation à voile: Chant XII

"…Cependant, la nef solide atteignit vite l'île des Sirènes; car un vent favorable qui nous épargnait toute peine, hâtait sa marche. Alors le vent tomba aussitôt; le calme régna sans un souffle; une divinité endormit les flots. Mes gens s'étant levés roulèrent les voiles du vaisseau et les jetèrent au fond de la cale; puis s'asseyant devant les rames, ils faisaient blanchir l'eau avec leur sapin poli…"

Imaginez la tête de Yvan Monnard: jeter les voiles dans le fond de la cale! Et nous on se plaint parce qu'il faut partir le moteur.

 Suggestions de lecture

 Quand La Voile fasseye de Noël Audet

Pas tellement pour une histoire de voile contrairement au titre. Plutôt pour le langage de mer, de navigation qui y est utilisé. De belles expressions, de beaux mots qui vous berceront comme une vague amicale. Du même auteur que L'Ombre de l'Épervier.

"J'ai perdu le fil à trop jouer avec les nœuds"

"…comme si j'inventais des histoires. Peuvent toujours courir, on s'en fiche pourvu qu'il y ait du vent!"

Des phrases remplies de philosophie de vie: "On passe beaucoup plus de temps à se retenir qu'à se laisser aller, à désirer le vent qu'à se laisser emporter par la brise…"

Un livre rempli d'histoires racontées avec un humour fin, souvent aussi un humour sans ambages. Quelques histoires tristes racontées sans tristesse: la noyade page 87. Un livre tout petit, pas lourd du tout à tenir quand on n'a pas arrêté de faire des virements de bord dans la journée.

Voiliers et gréements de Joseph Gribbins

Un beau livre d'images. Du papier glacé. Le plaisir de la lecture qui passe aussi par la sensation douce du toucher de la feuille et la clarté de la photographie. C'est l'histoire de la voile dans un grand livre qui prendra toute la place sur la table à cartes les jours de pluie. Disponible à la bibliothèque ou en librairie pour un coût de $40.00 ou moins.

Histoires extraordinaires de la mer de Robert de la Croix aux Éditions l'Ancre de marine

Un livre pour faire semblant d'avoir peur. Bien quoi? On regarde bien des films de peur, on ne se fait pas attaquer pour autant. Vous ne coulerez pas parce que vous aurez lu ces histoires. De courts chapitres juste avant de dormir. Comme ça je ne serai plus seule à ne pas dormir sur le lac Champlain cet été, hi, hi. hi : " La dernière nuit du Schooner", " Les rescapés du Tigre survivront-ils?", "Quand les morts suivent le navire". Intéressants, non?

La mer est ronde de Jean-François Deniau chez Voiles Gallimard

Un livre qui touche tous les aspects de la navigation. Partir. Naviguer. Escales. Un livre facile à lire, pas rebutant du tout. Un livre qui dédramatise la navigation et ceux qui en font, qui parfois se prennent trop au sérieux. Un livre drôle, plein de bon sens. La preuve? C'est dans ce livre que j'ai trouvé la citation: "Une femme à bord qui aime la mer modérément, ou simplement la supporte de bon cœur est une bénédiction". N'en doutez plus!

L'Odyssée de Homère

Finalement comme tous les autres livres suggérés, vous trouverez ce livre en bibliothèque. Je vous conseille le prêt d'été. On peut emprunter les livres pour presque six semaines. C'est le temps que ça vous prendra pour apprivoiser ce livre qui, malgré tout ce que j'ai pu vous en dire pour dénigrer Ulysse, demeure un livre que tout amant de navigation devrait lire. Ne vous arrêtez pas juste à l'histoire mais savourez tout ce qui se rapporte à la navigation, à la mer, tout en gardant à l'esprit que ce texte a été écrit à l'âge épique soit au VIIIième et VIIième siècle av- Jésus-Christ.

Et si après toute cette lecture le goût vous a pris, allez voir la pièce l'Odyssée au TNM en août. Je maintiens qu'Ulysse était un scélérat, un homme perfide envers Pénélope, n'empêche que la pièce m'a beaucoup émue par son texte bien sûr mais la mise en scène est remarquable. Les décors alors. Devinez ce qui entoure la scène? De l'eau. C'est ce que je nous souhaite à tous: suffisamment d'eau au-dessous, pas trop au-dessus de nos bateaux afin que l'été qui commence en soit un des plus beaux et des plus sécuritaires.

Je fais amende honorable devant vous tous d'avoir pris tant de place. La preuve est faite, la concision n'est pas mon lot.

Dernière heure, dernière heure. Une suggestion d'Ulysse: Le film "The Perfect Storm" sera présenté au cinéma durant l'été. Pire que moi avec mes livres de peur!

© Thérèse Drasse 1999

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