Coup
de vent à St-Michel-de-Bellechasse
par
Michel Lopez, avril 2003
Le ciel est saturé dÂorages dÂété, mais la vague glaciale qui déferle des latitudes nordiques nous entraîne vers les premiers jours de novembre. Les pontons sont déserts.
Certains plaisanciers irréductibles sont là pourtant, blottis dans leur bateau comme de frileux hobbits. Parfois, lÂun dÂentre eux pointe furtivement sa tête par le rouf, promène un regard découragé sur la grisaille et disparaît dans son terrier. Quelques promeneurs téméraires arc-boutés progressent péniblement vers le bout du quai. Là -bas, le fleuve hérissé dÂembruns roule avec rage ses eaux de marée descendante. Le courant est puissant, inquiétant. Le chenal de la marina est un passage étroit, taillé dans les roches de la batture. Pour entrer et sortir, il faut sÂarracher à la dérive, les yeux rivés sur les deux feux dÂalignement. Personne nÂa franchi la passe dÂentrée hier. Personne ne sÂy hasardera aujourdÂhui.
La voix monocorde du bulletin de météo confirme un avis de vent fort sur toutes les régions du Saint-Laurent: Âde Donnacona à lÂîle aux Coudres, vent de sud-ouest de
25 nÂuds avec des rafales à 35. Visibilité réduite sous les aversesÂ.
Retranchés nous aussi dans notre carré, nous laissons sÂégrener le temps en espérant quÂil sÂaméliore. Une bourrasque plus violente nous tire de notre lecture. QuelquÂun se lève et constate par un hublot que le ciel est encore descendu.
Un instant dÂaccalmie fait un trou de silence dans le long hurlement. Nos oreilles bourdonnantes lÂont à peine perçu. Avant même que sÂallume en nous une petite lueur dÂespoir, le grondement reprend, lourd et sourd, comme monté de la terre. Il va revenir. Pour lÂinstant, il rôde là -bas au ras de lÂhorizon.
Il revient à la charge. Son souffle sÂenfle, se gave de rage et déferle vers nous en une longue plainte rauque. Tout le paysage plie lÂéchine sous lÂassaut. Les bateaux de la marina tanguent, roulent, tirent sur leurs amarres comme des chevaux craintifs. Les girouettes sÂaffolent, les drisses claquent contre les mâts, les coques écrasent les défenses contre les quais, les pavillons sÂeffilochent sous les barres de flèche. Dans ce concert hargneux, les octaves graves du souffle de fond soutiennent les vibrations stridentes des haubans et les cris dÂorgue des bômes.
Heureusement, nous sommes bien protégés, à marée basse, derrière le rempart de la jetée.
Mais la trêve ne sera que de courte durée. Bientôt, lÂhorloge inversera son mouvement. Nous entamerons notre inexorable remontée vers la zone de turbulence, hissés contre notre gré par lÂascenseur liquide. Une à une, les roches noircies de la muraille se laisseront engloutir. Le clocher de la chapelle voisine percera lentement lÂhorizon mouvant. Puis, les premiers monts du Charlevoix entreront à leur tour dans notre paysage.
Le fleuve fera de nouveau surface. La jetée ne sera plus quÂun maigre cordon de récifs.
Nous serons alors à découvert, livrés à la furie du vent.