Les aventures de Joséphine
par Jean Rivest, avril 2006
"Les Aventures de Joséphine"... pas très original comme nom pour une
chronique, mais bon, je trouve que ça sonne plutôt sympathique, à limage
de mes expériences finalement.
Lidée derrière tout ça viens du fait que lon retrouve souvent des
récits daventures, de voyages, de bout du monde, extraordinaires, mais
rarement de cette vie de marins deau douce, du monsieur tout le monde
pour qui le nautisme et la voile tout particulièrement reflète lévasion
hebdomadaire à un monde de plus en plus stressant, souvent pesant.
Je vous raconterai des bribes de ce que jai vécu depuis bientôt 17
ans. Des histoires courtes, sans doute vécues par certains dentres vous,
mais qui pourraient servir, et cest le but visé, à donner goût à de
futurs matelots de se lancer dans laventure, à sadonner a la voile de
plaisance.
Tout dabord, "Joséphine", vous lavez deviné, cest le nom de mon
premier bateau, un Tanzer 22. Son nom de baptême vient dun long processus
et maintes discussions en famille autour de la table de cuisine, nous
quatre réunis. Joséphine est né finalement du nom de mes trois femmes.
Josée ma douce ( enfin la plupart du temps ) , Stéphanie, ma fille aînée
et Catherine, le bébé. Lhistoire dit aussi que Josée a été "fine"
daccepter que je me lance dans laventure, je len remercie du fond du
coeur
Ils seront donc les principaux acteurs et témoins de ces aventures,
la plupart du temps cocasses.
Moi, et bien, je me nomme Jean, jaurai bientôt 49 ans, je pratique la
voile depuis 9 ans, ici dans la région de Sorel et aucune autre expérience
que ce soit avant ça, si ce nest lhistoire que je vous livre ici
aujourdhui, et qui est à lorigine de ma passion pour la voile. Tout a un
début comme on dit, le mien, sur le tard diront certains, est arrivé juste
a point, comme un fruit mur. Je le déguste encore aujourdhui.
Du tout début, jusqua aujourdhui, mais pas nécessairement dans
lordre, et simplement pour le plaisir, voici peut-être le début dune
série de chroniques que je vous souhaite agréables.
Épisode 1: Le déclic.
Je nai pas vraiment didée dou je tiens ce goût de leau.
Curieusement, mes parents citadins nont jamais possédés de chaloupe ou
quelques autre engins flottants , ni habités près dun cours deau ,
encore moins de chalet en face dun lac. Mes souvenirs denfances se
meublent par contre de quelques voyages dété sur la cote Est américaine,
ou encore de ces semaines de vacances passées a Chambly chez mon
grand-père Willy, avec son garage et ses outils quil me prêtait
volontiers, ces journées à me fignoler quelques petits bateaux que je
faisait ensuite navigués dans la piscine juste a coté, ce que jai pu men
inventer des histoires et des bricoles. Des méchants bons souvenirs. Je
peux affirmer sans aucun doute avoir eu la plus merveilleuse jeunesse
quun enfant nai pu rêver. La maison à Chambly était toute petite, mais
je sentais a cet endroit une douceur de vivre et un bien-être que naurais
pu apporter aucun château du monde. Il y avait des bonbons et des outils,
javais pas besoin de rien dautres. Jai appris très tôt les plaisirs de
la vie simple.
Il y a eu ensuite ladolescence, les blondes et les emplois
détudiants. Mon oncle Georges, le frère de ma mère, travaillait depuis
toujours au CN, et comme jétais, je crois, son neveu favori, il avait pu
me dénicher grâce a certaines influences, un poste de laveur de vaisselle
a bord des wagons restaurants qui roulaient a lépoque dans tout lEst du
Canada. Périodes fastes de découvertes de toutes sortes, jai ainsi
travailler durant 4 étés consécutives, à voir du pays comme on dit ,
apprendre les rudiments de langlais, apprendre à aimer découvrir. Ce sont
bien sur des choses que lon apprend plus tard. Merveilleuse époque.
Puis, ce fut les fréquentations, un boulot de technicien en
instrumentation, le mariage, la maison. Une vielle maison, solide mais pas
jeune, qui demandais rénovations et caresses. Des heures de bricoles
évidemment. Les enseignements de mon père et de son père aussi qui se
perpétuaient. Ce fut ensuite la venue de Stéphanie, une petite blonde
toute en sourire et par la suite 4 ans plus tard, de Catherine, bébé bien
dodu, ravissante a souhait, et dune patience incroyable. Et pas vraiment
le temps pour autre chose, réno, boulot , bébé, dodo
entrecoupé de
petites escapades, pas trop longues, sans les enfants, questions de
décompresser un brin, donner un break à madame, à moi aussi, pourquoi pas.
Cet été là, un coup de fil de ma cousine Renée, qui elle aussi demande
grâce de quelques jours de congé de son poupon. "jai trouvé une belle
place a Québec" dit-elle. "Le Lac Delage, une formule tous compris, les
repas, les vélos, du canot, le tennis, la piscine
pas cher".
Nous voilà tous les 4, ma cousine , son mari Mario, Josette et moi,
direction Québec, pour une fin de semaine de décrochage, pas de camping,
de vaisselles, denfants, des vrais vacances de femmes quoi, le gros luxe,
la bonne bouffe, les câlins et tout
Le manoir était tout juste en face du Lac Delage. Un petit lac,
minuscule serais plus juste, incrusté dans les montagnes. En face du
manoir, sur la droite se trouvait le terrain de jeux, mini-putt, tennis,
volleyball, et tout a coté un petit chemin menant au quai. Les planches a
voile, qui a cet époque venaient de faire leur apparitions, gisaient en
location sur la petite berge de sable. Des canots et quelques dériveurs
étaient amarrés le long du quai et de prime abord , je ny avait guère
porté dattention.
Le tour du propriétaire terminé, direction costume de bain, petite
bière pour Jean , limonade avec le petit parapluie dedans pour Josée et
direction
piscine. On en avaient bien besoin, ma douce et moi, la chaise
longue, le soleil et le parasol, kaflouc a leau, la grosse paix. Renée et
Mario qui viennent nous rejoindre
"on est-tu ben hein Mario" que je lui
dis, "maudite belle place en effet, la sainte paix" qu'il me répond. Nos
femmes, déjà luisantes comme du bacon a mi-cuisson ne disent pas un mot, à
peine un grognement, elles jouissent.
Au bout de 10 minutes, cest a peu près le temps que je dirais que
nous, les hommes normaux, somment près à rester étendus au soleil à ne
rien faire, je regarde alors Mario, "fait chaud hein Mario, ouffff
je
vais aller faire un tour au quai juste pour voir". "Ouais attend-moi"
qu'il me répond dun trait, la goutte au bout du nez, "je crois que je
vais essayer ça la planche à voile, ça a lair pas mal le fun"
rajoute-t-il. Les femmes, comateuses, sont déjà dans lau-delà
on les
réveillera pas.
Fait chaud, très chaud, pas un nuage, le vent
boffffff
tant mieux, ça
va être moins dur pour essayer la planche!. Y en a un déjà à leau , qui
joue les jongleurs du cirque à essayer de monter cette fameuse planche
ploufffff a leau et reploufffff, tantôt le nez dans la voile tantôt la
voile sur le nez
cest très drôle, et comme il est gros en plus, tordant
mais nous, on fera bien mieux, "hein Mario?" Le préposé du quai nous met
en garde, "y a pas ben ben de vent messieurs, vous allez avoir de la
misère
".
Cette après midi-là , il y a eu 3 gars écarlates, épuisés raides
defforts, le dos en compote, qui sont revenus à la piscine
"pis les
boys, on vous cherchait" nous lancent nos femmes, un drink bien froid à la
main, sous le parasol, pimpantes.
Lépisode planche à voile venait de se conclure pour moi.
Le lendemain, cest cool, on est reposé et après un bon déjeuner,
dehors tout le monde, fait encore super beau, le vent se montre le bout du
nez. Les vélos sont disponibles
Une petite randonnée aux alentours et du
haut de la colline, on aperçois le lac, je distingue un petit dériveur qui
serpente en zigzag. Ça lair le fun, semble beaucoup moins compliqué que
la grosse Bertha de planche a mal de dos de la veille. "on essaie ça
Josée?" , ma femme , pas trop forte sur les nouvelles expériences de gars
décline linvitation. Leau du lac, noire, et surtout les méchants
poissons qui pourraient sy trouvé pour lui manger les orteils la rebute
quelques peu. Dans sa famille, on aime bien leau limpide dune piscine,
"au moins, on voit le fond" comme elle dit. Faut dire aussi qua Sorel,
leau du fleuve ou de la Richelieu, ne porte pas vraiment a la baignade,
bien que depuis
Mario, fidèle compagnon, me fait un clin dil. Nous revoilà devant le
préposé qui nous reconnaît
"vous avez déjà fait de la voile?", "non" que
lon répond en cur
"Faudrait avoir suivi des cours
", "Ten donne-tu?",
"non, mais pour vous je vais faire un spécial, étant donné quhier
alors
30 minutes pour $10, ça vous va ?"
"Yes sir".
La leçon de voile fut théorique à souhait et sans quitter le quai, on a
eu droit a un charabia de termes incompréhensibles que jécoutais dune
oreille distraite, la fille sur le voilier que javais aperçu plus tôt du
haut de la colline passait pas trop loin de nous, et jétais comme
hypnotisé de la voir manier ainsi ce gros bateau avec une telle aisance.
"oui, oui, on est prêt
oui oui la ceinture
oui oui la corde de la
grande voile si on vire a lenvers
pis debout sur la dérive
"
Yes, on est assis au moins, pas debout a faire des plongeons sur le
pataclan de la veille
"tes prêt Mario?", "ouais, mais y as-tu des
rames?".
Et le vent qui nous pousse sur le quai
pis la fille qui file là-bas
encore une maudite patente, mais on finit par décoller du quai. Je me
souviens plus très bien comment on a fait pour se rendre au milieu du lac,
Mario sans doute
je me souviens par contre très bien du bruit que faisait
le bateau de la fille quand elle passait près de nous
vrrrrrrrrr, comme
une vibration et un petit clapotis deau
pis le petit bouillon juste
derrière
"non mais, on va tu finir par avancer?"
Une bonne demi-heure à présent quon zigone, quon observe la fille,
quon imite
tout à coup, une bourrasque de vent
kataflac, glouglou, le
bouillon, le t-shirt qui disparaît tout doucement sous leau que Mario
réussi de peine et de misère a ramener à la surface, malgré sa ceinture
le mât dans leau, kaflic , kataflac
on est accroché a présent sur la
coque de travers, on reprend notre respire
"quest ce qui sest passé?"
Bon, attends un peu
Le ti-gars a dit "debout sur le dérive et ça va
revenir a lendroit
", cest fou comment lon peut se souvenir
denseignements que lon jugerait navoir jamais reçu
alors debout sur le
dérive mon Mario
Yes, ça marche
et dun seul coup
Rerekataflac, le mât quasiment sur
la tête
pis les gros mots
pis debout à nouveau sur la quille
hihihi. Je
suis tordu, mort de rire
un gros 5 minutes et on finit par remonter
oufff oufff
"ha oui!, la corde de la grande voile, ôte-la du machin
bloqueur Johnny
Tu te souviens?"
Et dun coup, ça sest mis a avancer, comme si Dieu lui-même veillait
sur nous. On avait enfin un semblant de contrôle sur quelque chose, les
yeux bien grand, le sourire au visage
on tire un peu sur la corde
oupss
ça penche
yes
Lets go
ça va plus vite
penche toi Mario
Cest là, a ce moment, que le déclic sest fait. Un déclic de 30
secondes, la vibration de la coque
vrrrrrrrrrrrrr.. une douce résonance,
le bouillon et la traînée derrière, la main sur le gouvernail, la voile
bien gonflée, pas de bruit, pas de moteur
pis on avance en plus
une
révélation
Je me souviens plus très bien du reste de la journée, ni du reste du
week-end en fait. Je me souviens juste de ce sentiment qui ma habité cet
après midi là, et qui ne mas pas quitté depuis.
Javais 33 ans, Il sest passé ensuite 7 ans avant que je ne remette
les pieds sur un bateau.