Voyage
de Sedna II
par
Gaëtan Girard,
octobre 2003
Lair est frais ce matin. Encore bien emmitouflé dans mon duvet, je trouve à peine lénergie de me sortir de ma couchette. Est-ce un début de rhume, je me sens fiévreux. Quelques clapotis finissent leur route sous la jupe en métal brisant le silence de ma coquille dacier. On dirait que je suis dans un tonneau métallique flottant sur la mer. Flop! Flop!...Flop! Va bien falloir que je me lève. Jai la vessie comme un ballon, prête à éclater. Cest toujours difficile de subir le choc thermique entre le lit douillet et lair frais de la baie de
Belle-Île. 6* C ce matin. Jenfile mon polar et sors le nez dehors. La rosée du matin a tout trempée sur le pont. Il fera beau aujourdhui. Les lueurs du soleil percent déjà les échancrures entre les rochers. Pas un bruit, pas de vent.
Quel silence. Rien ni personne autour de moi. Loin du monde. Loin de tout. Jallume la VHF en quête dune quelconque information météo mais il semble que même la météo na pas dimportance ici. Rien. Et pourtant, dans cette région, la température a souvent des sautes dhumeur. Baromètre stable en le cognant du doigt.
Je compte demeurer ici quelques jours. Deux ou trois maximum. Il faut réparer le boyau évacuant leau de cale par la pompe Gusher. Jai eu une mauvaise surprise ces derniers jours. Faisant route au moteur dans un fjord, vérifiant fréquemment le moteur lorsquil est en marche, japerçus, après avoir soulevé le couvercle du moteur, de leau dans la cale. Plusieurs gallons. Assez pour men inquiéter. Mon bateau na aucune ouverture, passe-coque sous la flottaison. Frôlant la panique, me demandant doù pouvait provenir toute cette eau, il fallait absolument trouver la cause sinon cétait le naufrage. Soupçonnant le presse-étoupe. Je vérifie son fonctionnement. Tout semblait normal. Je ferme le moteur et me laisse dériver. Pas le choix, il faut ouvrir une cloison et voir doù provient cette eau salée. Au début je croyais à une fuite de réservoir deau potable. Mais tout était normal. Après avoir enlevé une cloison, je constatai lobjet de ma frousse. Le boyau dévacuation des eaux de cale était déconnecté et leau de mer entrait, aidée de la
gîte et du tangage. Jenfile une goupille de bois dans le tuyau et continue ma route.
Je profite de cette escale pour me refaire un peu et réparer. Je projette une randonnée sur lîle en après-midi. Ce matin sera consacré à la réparation. Cest décourageant de voir le bateau. Sortir tout le matériel sous les rangements tribord de la table à cartes. Ranger le tout sur les banquettes. Pèle-mêle. Cest le bordel! Enlever la cloison et me faufiler dans une ouverture de dix-huit pouces par dix-huit pouces. Heureusement que je suis dun calibre léger sinon je me demande comment aurais-je pu faire pour me faufiler dans ce trou à rats. Jentame la réparation après avoir bu quelques tasses de café. Inutile de se presser, jai la journée devant moi. Au son de Crosby, Still, Nash and Young je répare le boyau qui me donne du trouble. La section femelle ne pénètre pas assez loin dans le boyau. Le serre-boyau glisse et dégrippe le boyau. Après quelques écorchures aux doigts, je peux dire mission accomplie. Jespère que la réparation durera. Ce qui nest pas pour me rassurer. Jaurai toujours ça à lesprit. Je mobligerai à une vérification quotidienne.
Ménage du bateau, rangement de tout le matériel, la faim menvahit et trop paresseux pour extrapoler un gros dîner, je fais chauffer une bonne soupe aux pois Habitant que javale avec des biscuits soda. Je mangerai plus ce soir. Le ciel est sans nuage. Je me glisse dans le zodiac et me dirige vers la terre pour une courte exploration de lîle. Les couleurs du soleil sur la roche est fantastique. Je me demande combien de personnes ont marché sur ces roches presque volcaniques.
Je grimpe assez haut pour apercevoir mes premiers icebergs à lhorizon. Un grand frisson me fait danser de joie à la vue de ce spectacle. Ils sont grandioses vu dici, le soleil éclairant leurs flans glacés. Après quelques minutes de marche, je massois sur un petit promontoire en première ligne du théâtre qui soffre à moi. Sirotant mon café-brandy encore chaud grâce à mon thermos, je constate combien est beau ce coin de pays. Sauvage mais beau. Épeurant parfois mais sécurisant à la fois. Ici cest certain que les pirates nexistent pas. Sauf quelques mouettes me menacent de leurs excréments en tournoyant autour de moi comme pour voir "cest quoi cette affaire-là".
Quelle belle après-midi. Je rentre au bateau satisfait de mon escale forcé. Il y a des situations qui nous semblent catastrophiques sur le moment et qui se révèlent plus tard bénéfiques. Si je navais pas eu ce trouble de boyau, je naurais pas relâché ici. Je quitte cette endroit avec un vent de sud-ouest léger. Brouillard à quelques milles mais sans plus. Pas de problème pour le moment. Sous génois seul je continue ma route avec un léger clapotis. Un grand lac tellement que la vague est douce. Je scrute lhorizon à la recherche dicebergs menaçant ma coque dacier. Un voilier de 10 mètres ce nest pas un brise-glace. Ne pas oublier. Même le Titanic a coulé suite à une collision. Imaginez moi! Alors je veille. Ne possédant pas de radar, je me dois de veiller si je veux revenir. À treize heures environ, la brume se lève enfin et le vent forcit quelque peu. Par le son de leau bouillonnant à larrière de Sedna, je comprends que ma vitesse augmente considérablement. Le Navik répond bien. Vive les régulateurs dallure. Très utile au solitaire surtout, il est indispensable. Le pilote électrique est trop vulnérable au bris et trop capricieux sur ma coque en acier. Jarrive difficilement à conserver un cap. Le magnétisme causé par la coque influence constamment la trajectoire. Que leau est belle. Sombre, froide. Elle sent bon! Bien écrasé, assis sur le pont en avant du roof, café à la main, mon petit bateau trace sa route. Je me sens comme un passager en charter sur un voilier. Mais je suis seul. Ces régions "polaires"sont moins populaires que les régions tropicales. Inutile de dire que la baignade est interdite. Je regarde la carte à la recherche de lentrée dun fjord qui me permettrait dentrer davantage à lintérieur de la côte. Tout est tellement sauvage.
Je vérifie ma position au GPS me situant à environ 30 milles de lentrée de Port Hope Simpson.
Il sera bientôt temps de manger. Jai limpression de toujours être en train de me faire à manger. Heureusement que tout est "canné". Se faire à manger quand on est seul est peu stimulant, en bateau cest pire pour moi. Je devrai tirer un bord vers le large. Je ne veux pas risquer de me rapprocher trop près de la terre avant la nuit. Surtout quil y a un vent qui me semble instable en ce moment. Lodeur du vent change. Il est plus frais. Comme sil sapprêtait à tourner à lest. Venant du large. Alors je me dois de refouler le plus loin au large possible jusquà la nuit et me laisser dériver jusquau première lueur du matin. Je mets mon chrono aux heures et fais un tour dhorizon. Cette nuit jai entendu un bruit de moteur. Sans le voir vraiment, je pense que cétait un bateau de pêche. Jespère quil avait un radar et quil ma aperçu. Sans doute. Cest bon signe. Il y a de la civilisation dans le coin. Doù venait-il, où allait-il?
La nuit a été relativement tranquille. Rien de particulier à signaler outre le bateau entendu. Le jour se pointe en même temps que moi sur le pont. Je "bénie" la marre comme à tous les matins. Je scrute lhorizon à la recherche de je ne sais quoi. Une vieille manie. Je vérifie le point au GPS pour confirmer ma position. Jai dérivé denviron 35 milles nautiques. Jhisse les voiles et reprends un cap pour me rapprocher de mon point
et... je me refais à manger.
Les vagues ont augmentées ce matin. Le vent dest a forci. En me rapprochant de la côte, je constate quelques accès pour pénétrer à lintérieur du Labrador. Je pénètre dans un fjord dun centaine de pieds de large et le sondeur indique plus de cent pieds de profondeur. Sous yankee seul je suis ébloui par tout ce spectacle. Comme dans un rêve. Ciel gris, vent frais, japerçois au loin un rorqual qui se dirige vers moi. Je le suis avec mes lunettes dapproche. Je cherche autour de lui pour voir sil est seul. Il semble être aussi solitaire que moi. Ça me fait tout drôle. Nous sommes seuls tous les deux dans cet univers romanesque. Nous nous croisons à quelques dizaines de pieds. Gracieux dans sa façon de nager et Sedna dans la façon de naviguer sous voile. Seul le bruit de leau sur la coque trouble le silence du moment. Je nose bouger. Je fixe ce moment dans ma mémoire. Je suis un privilégié.
Ayant repérer une petite anse comme on en retrouve dans le Saguenay, cest là que je passerai la nuit. Trente pieds deau sous la quille. Bien abrité des vents par les falaises. Je dormirai tranquille. Jessaie en vain de pêcher mon repas. Pas de chance. Rien. Cest impensable. Même pas une morue, si petite soit-elle. Jai le goût de poisson ce soir. Une bonne soupe de poisson en canne fera laffaire et quelques biscottes. Jaime grignoter. Alors quand vient le moment des repas, je nai pas beaucoup faim. Curieusement, même si on fait pas grand chose sur un bateau, jai toujours faim. Une petite fringale. Alors jai toujours quelques choses à grignoter. Biscuits, chips, pretzel, peanut.....Comme ça pèse peu, jen ai une bonne réserve!
La nuit aurait été bonne neût été la présence de moustiques. Que dis-je, des monstres! Il y a bien juste lhiver quelles ne font pas sentir. Toute la nuit je me suis battu avec ces bestioles qui servent à qui finalement. Nont-elles pas de prédateurs? En tout cas, elles ne sont pas en voie dextinction bien au contraire. Le vent a tourné cette nuit. Je vais lavoir dans le nez ce matin. Il vient du nord et ça se sent. Jenfile ma veste de ski et mes gants. Comme je devrai barrer une partie de la journée et au moteur, jai préparé un thermos de café et des grignotines. Aujourdhui je veux pénétrer plus profondément dans le fjord espérant rejoindre une quelconque civilisation. Port Hope est à destination. Je compte bien rallier le lac Melville bientôt. Au tournant dun cap je croise un petit caboteur de la compagnie Desgagné. Il fait partie de la flotte de navire qui viennent approvisionner les petits villages dans les estuaires. Il me salue de sa corne de brume et je le salue de la main. À la distance doù nous nous trouvons lun de lautre, léquipage na aucune difficulté à voir mon signe. Cest soulageant de se sentir en présence humaine. Javoue avoir le cafard aujourdhui. Jen suis rendu à parler seul et à ordonner les manoeuvres comme si je madressais à quelquun. "Est-ce quon envoie le génois?". Ouais! Il est temps que je marrête dans un village et que je discute avec du vrai monde. Cest inquiétant!
Le moteur tourne comme un moulin. Il faut dire que les moteurs Deutz sont réputés pour être utiliser dans des conditions difficiles. Que ce soit dans les froids extrêmes comme lAntarctique ou dans les chaleurs insupportables des déserts. Les Allemands les avaient conçus pour la guerre dans le désert. Conditions très difficiles. Le mien est refroidi par air. Aucune prise deau de mer. Lavantage est quil chauffe la cabine lorsque je fais route à moteur. En cas de panne de batterie, je peux le démarrer avec une manivelle en prenant soin de le décompresser. Pas de doute, dans ces régions, les mécanos sont loin et la garde-côtière auxiliaire inexistante. Le jour sinfléchi avec le bruit de ma CQR qui fend leau. Ce soir, je dormirai en fermant tous les panneaux. Cette nuit je veux dormir. Je traîne un frisson et un léger mot de tête depuis quelques jours. Jenfile une double dose de Surbex 500 avec vitamine C en surplus. Il faut que ça casse. Jai le coeur sur le bord des lèvres. Quest-ce que je mange? Tout mécoeure. Rien ne me stimule. Je mets un disque de Chloé Ste-Marie. Ça va avec le décor. Quelle douceur cette femme.
Je me suis réveillé avec le soleil pénétrant dans lembrasure du fjord et finissant sa course par le plexi de la descente. Cest la chaleur des rayons sur mon visage qui ma réveillé. Quelle heure est-il? Huit heures trente. Javais vraiment besoin de sommeil. Je pense que lancre aurait chassé et je men aurait jamais aperçu tellement jai dormi profondément. Il y a un ange qui maccompagne faut croire! Je me sens mieux ce matin. Je prends quand même une pastille de Sorbex pour me retaper. Jen prendrai deux fois par jour pendant trois jours et par la suite une par jour pour une semaine. Je verrai bien par la suite. Le café sent bon et goûte bon. Aujourdhui, je devrai atteindre le lac Melville. Petite mer intérieure. Je compte bien marrêter dans un village et marcher un peu. Explorer les environs. Après quelques heures de génois, une petite bourgade est à mon tribord. Devrais-je marrêter? Compte-tenu du temps quil me reste, je préfère continuer et voir plus loin. Le soleil est chaud aujourdhui. Je peux enfin rester en polar et me faire chauffer le visage par le soleil. Tout est silencieux. Navigué à voiles est reposant. Le moteur, même si cest vraiment utile, cest agressant à la longue. Il y a un petit îlot rocheux à mon tribord. Jaffale le génois et men approche au moteur. Quel bel endroit. On se croirait dans une baie du Vietnam dont joublie le nom. Je me risque à pêcher. En vain. Faut croire que je suis aussi nul à la pêche comme à la chasse. Le silence des lieux minspire. Je massois sur la plage avant et gratte quelques accords de guitare. Le son de la guitare fait écho sur les falaises environnantes. Je ne peux marrêter de jouer. Je me verse une "tasse" de brandy St-Remy que je sirote tout en chantant et jouant. Aucun spectateur pour apprécier ni même me huer. Et cest tant mieux! Je décide dy passer la nuit et demain jirai à terre visiter le paysage. Bizarrement, je ne vois pas beaucoup danimaux. Seuls quelques oiseaux, cormorans entre autres, me rappellent que je suis sur la terre. Jaurais pu me trouver sur une autre planète......Le brandy fait son effet! Jassure mon ancrage et passe au travaux routiniers. Je croirais entendre les enfants: "Ppa, quest-ce quon mange? Mange ta main puis garde lautre pour demain" quon répondait. Jouvre un sac de goberge sous vide et me ferai une salade de goberge. Dans cette région, la conservation des aliments est facile. Comme leau est extrêmement froide, les denrées plus à risque, je les place dans la quille. Un compartiment est prévu pour ça. La conservation est bonne. Dans la soirée, un navire de la garde-côtière est passé. Il sen retournait vers Groswater bay. Je me demande si par la suite il tournerait vers le nord ou retournerait vers le Québec. Belle nuit étoilé avec comme toile de fond de magnifiques aurores boréales. Ici on les voit. Aucune lumière citadine naffecte notre visibilité. Toutes ces nuances., couleurs glaciales. Le reflet du soleil des glaces sur la croûte glacée de lArctique.
Je me suis réveillé tôt ce matin. Jentendais marcher sur le pont. Cloc! Cloc!....Cloc!.....Cloc! Quelle sorte de bibittes que cest? Je me sors la tête de la bulle et japerçois un cormoran qui marche sur le pont. Picorant tout sur son passage. Curieux, il ne trouve rien qui se mange vraiment. Une fois sortie de ma surprise, toute lhorreur de la situation se révéla en la présence de ses excréments sur le pont. Vous ne pouvez pas vous imaginer tout ce qui peut sortir de ce "canard-là" en quelques minutes. En ouvrant la bulle, il senvole maladroitement en frôlant la catastrophe de séchouer dans les filières. Malhabile en plus. Bon voilà, je sais ce quil me reste à faire plus tard.
La préparation du bateau terminé. Déjeuner et ranger la vaisselle. Même rituel de vieux garçon, je monte lancre avec un peu de difficulté. Il semble que le guindeau électrique manque de jus. Stupéfaction. À trois ou cinq pieds de la surface, apparaît entre deux eaux, accroché à lancre, un casier à homard.
Incroyable. Un casier à homard avec un homard à lintérieur. Et dire quhier soir jessayais de pêcher mon souper. Que faire avec ça maintenant. Le remettre à leau? Jamais de la vie! Je mets le casier sur le pont et agrippe le homard en évitant les pinces. À la poissonnerie, les pinces ont des élastiques. Pas celui-ci. Et il le sait. Je le mets dans une chaudière et je remets lancre à leau. Je décide de le faire cuire avant de continuer ma route. Je le fais cuire dans leau de mer. Le chaudron est petit mais il fera laffaire. Tant bien que mal, jarrive à lui crocher les
pattes et les pinces pour le faire pénétrer dans le chaudron. Au contact de leau bouillante, la queue senroule. Cest du sadisme. Me semble lentendre crier au contact de leau. Jimagine les cannibales préparant leurs prises avant de les faire cuire....Une fois cuit, je le range dans la quille, au frais. Jai mon souper pour ce soir. Je relève lancre sans peine et nous repartons. Le contre-temps en value la peine. Toute la journée, je sentais lodeur de cuisson du homard provenant de la cabine. Avec ma fringale, ça narrangeait pas les choses. Une autre belle journée de navigation. Pas de pépin. Pas difficile. De lamateur. Le lac Melville souvre à moi enfin. Belle mer intérieure. Je me dirige vers Goose bay sous voile et moteur. Il y a de lactivité dans le coin. Des chaloupes de pêche, des petits caboteurs à lancre. Je me rapproche lentement et tente de maccoster à un vieux quai de bois. Rien à voir avec les pontons des marinas. Ça minspire la Nouvelle-Angleterre.
Une femme inuit maccoste et...
"Gaëtan, viens souper. Cest prêt!" ah non! Mon p'tit pitt. Pourquoi mas-tu réveillé!