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Ma tempête

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Il était une fois Ma tempête
par Sophie Chacoux, décembre 2003
paru originalement dans Loisirs Nautiques en janvier 2003

PUERTO de MOGAN - Ile de GRAN CANARIA

Jeudi 12 décembre 2002, 22 heures.

Extrait du journal de bord

Elle est entrée dans le port comme une furie. Arrivant du Sud-Ouest. D'un coup, elle s'est engouffrée et le port a gémi.

En accord imparfait les drisses se sont mises à battre les mâts.
La pluie en rideau l'accompagnait et le ciel était plus noir que jamais. Les étoiles s'étaient éteintes depuis longtemps. Depuis le matin, nous l'attendions. Forte, vicieuse... Une main là-haut avait dessiné des cercles rapprochés sur la carte de météorologie affichée à la capitainerie... Un dessin avec un gros oeil à l'intérieur.

Depuis quelques jours, les millibars narguaient les plus initiés. L'inquiétude se lisait sur les visages des pêcheurs. Mogan n'est pas préparé à recevoir ce genre de coups de vent. On le sait... Mais les mises en garde ne sont pas écoutées, trop habitués ici à vivre sous "le meilleur climat du monde" comme le relate si bien l'Unesco dans ses programmes. Alors si on ne fait rien, un jour il y aura une vraie catastrophe... et les pêcheurs, eux, en sont conscients!

22 heures...

Un bruit assourdissant fortement répété poussa les équipages sur les ponts. Elle est là la tempête!!!

En parfaite harmonie, tout le monde s'est mis aux mêmes gestes, aux amarres, aux tauds, aux défenses, sur tous les bateaux et sur tous les pontons. Les éclairs commençaient à révéler une vision de l'au-delà. Des paquets de mer se sont mis à sauter la digue pour venir s'écraser au milieu du port avec un bruit lugubre. Le long du mur, la route menant au phare avait disparu sous les paquets de mer. Parallèle à elle, imaginez un long ponton sur lequel s'accrocheraient désespérément une vingtaine de bateaux dans ce paysage d'apocalypse.

La première heure a été interminable. Il fallait s'accoutumer au bruit assourdissant de l'océan qui s'éclatait de l'autre côté sur les rochers. Mogan n'est pas un port très important et tout le monde s'inquiétait pour sa digue. Erigée comme un mur d'enceinte cette protection nous semblait de plus en plus fragile et sommaire. Va-t-elle tenir? Les premiers cris se sont fait entendre rapidement avec une évidence: Le ponton d'en face explosait sous la force retombante des lames. ... et la quasi-impossibilité d'y accéder par la route! Le sentiment d'impuissance a vite fait place à cette solidarité que tous les marins connaissent. On a tous mis nos cirés sur le dos... Hésitants cependant. Toute initiative mal calculée pouvait se transformer en geste extrêmement dangereux.

Les dinghies n'étaient d'aucune utilité. La force des vagues en retombée était bien trop puissante. Mon anémomètre marquait des pointes de 48... 50 noeuds. Et j'étais à l'intérieur du port! C'était beaucoup.

Une heure du matin au coeur de la tempête: Un cri répété a retenu l'attention... une fois... deux... dix fois... Signifiant quelqu'un en péril. C'était certain. Mais comment y aller? Alors, je ne citerai qu'un nom: Celui de Louis, un ami de tous ici. Cette nuit-là, il n'a écouté que son courage. Ne lui demandez surtout pas comment il a pu atteindre la voix! Au son... au hasard... et avec son étoile... Sautant au petit bonheur d'un morceau de ponton flottant arraché à l'autre, s'agrippant aux amarres des bateaux détachés, il a atteint l'appel. Si nous ne l'entendions pas de façon continue ce cri, c'est qu'il disparaissait sous les paquets de mer qui s'écrasaient sous lui.. Puis l'homme refaisait surface... alors, il pouvait hurler... puis redisparaissait... et ressortait de l'eau le temps de crier encore... de plus en plus faiblement bien sûr.... Louis a réussi à l'agripper.... et l'homme sur le dos il a refait le même chemin pour atteindre une zone abritée.
L'homme, un slave, avait une fracture ouverte de la jambe et était épuisé. Un de nous, motorisé, le prit en charge pour l'amener au premier hôpital distant d'une centaine de kilomètres. Bien périlleux par ce temps où la seule route d'accès à Mogan s'effondrait sporadiquement le long de la falaise sous d'énormes éboulis. La montagne aussi était fâchée!

Quelques minutes plus tard c'était le tour d'un pêcheur d'y laisser sa jambe! Plaqué contre les rochers par une lame... elle aura été la plus forte! Il a pu aussi être évacué vers Las Palmas.

Et pendant ce temps, la tempête continuait. Les palmiers étaient aux sols... Les éclairs zébraient le ciel pour flasher les dégâts. C'était extraordinaire. Et la digue tenait toujours...

Et puis les évènements se sont encore précipités faisant un blessé de plus! Vers deux heures du matin, c'était au tour de Maxi, mon amie suisse de se fracturer la cheville. Le catamaran sur lequel elle se trouvait toute seule était amarré au ponton tragique. En voulant dégager ses amarres de la partie qui explosait, une vague la rejeta violemment dans son cockpit. Personne autour pour l'aider. Alors courageusement elle appela sur la VHF. Le capitaine du port répondit lui-même à son appel... mais elle devait attendre... Personne ne prendrait le risque c'était encore trop fort. Sa chance aura été qu'un pêcheur la copie. Il était le plus près d'elle et il tenta l'impossible. Il fonça sous le tunnel d'air que créaient les vagues en retombant après la digue pour arriver jusqu'à son bateau. Quelle aventure!!! Et tant bien que mal, il parvint jusqu'à elle. C'est sur son dos aussi que Maxi a atteint une zone d'accalmie, pour revenir jusqu'à un tronçon de route non détruit, d'où une ambulance locale avec un jeune volontaire devait la récupérer... 3 heures après!

Le temps que l'océan se calme un peu, que le vent s'apaise et que les esprits retrouvent un calme tout relatif.

Le lendemain de cette tragédie, Mogan est apparu: dévasté. Le vent soufflait toujours et l'ampleur des dégâts était attristante. Une deuxième tempête se formait sur l'Atlantique quelques brasses plus loin. L'inquiétude se lisait plus que jamais sur le visage des vieux pêcheurs.

Nous n'avions plus de phare, plus de route, une digue fissurée et un ponton manquaient à l'appel. Trois de nos amis se trouvaient à l'hôpital. Et maintenant? Qu'allait-il se passer?

Nous attendions la prochaine tempête Sud-Ouest. ... qui a eu la délicatesse de se détourner vers les Açores.